La fabrique Moinard


L’industriel rochelais Auguste Moinard installa après la Grande Guerre une fabrique de produits chimiques à Angoulins, rue Saint-Gilles. Croix de guerre 14/18, résistant en 1940, il est élu maire de La Rochelle en 1947. Auguste Moinard est une personnalité marquante de la vie de notre région dans cette première moitié du XXème siècle.
Je vous en raconte l’histoire dans cet article, cinquième opus de la série des petites industries.


L’achat de la propriété

L’instant est solennel ce 28 décembre 1917 chez Maître Chevalier, notaire à Angoulins. Jean Marie Jeudon, propriétaire célibataire habitant La Pallice vend aux époux Auguste Moinard et Marguerite Cornély un ensemble immobilier, maison, jardin et terrain sis « Route de La Rochelle, près du parc municipal ». Les angoulinois ont bien connu cette propriété entourant une grande cour, au début de la rue Saint-Gilles. Aujourd’hui, elle n’existe plus, elle a été rasée au printemps 1986 pour laisser la place à la nouvelle poste et au centre de loisirs. Avant sa destruction, le mur nord côté rue Saint-Gilles portait la marque Sogemap.

Une vue de 1964. La propriété, à droite, acquise en 1917. La fabrique est à gauche. À noter que les époux Moinard ont aussi acheté les terrains de l’actuel stade de football. Image IGN Remonter le Temps

Une biographie d’Auguste Moinard

Auguste Moinard naît de père inconnu à Saint-Martin-de-Ré le 8 janvier 1878. De milieu modeste, sa mère Marie Moinard est couturière, descendante d’une longue lignée rhétaise. Il a huit ans quand elle décède en septembre 1886. De cette enfance difficile va naître une grande force de caractère dont sa destinée est le reflet.

En octobre 1912, il se marie à La Baule avec Marguerite Cornély (1870-1945), originaire des Landes. Pour elle, c’est un second mariage. Le premier, avec Albert Maréchal a été dissous en novembre 1910 par le tribunal de Belley dans l’Ain. De cette première union, naissent trois enfants : deux filles, Alice (1890-1978) et Blanche (1895-1982) et un fils Georges (1892) décédé en 1914 à l’âge de 21 ans.

Marguerite est la fille de Joseph Cornély (1845-1907), journaliste catholique et monarchiste, successivement rédacteur en chef des quotidiens Le GauloisLe Clairon et Le Figaro. Membre fondateur du Syndicat des journalistes français, il a aussi participé en 1899 à la création de la première école de journalisme, l’École supérieure de journalisme de Paris. Curieusement, il a été dreyfusard, ayant même mené campagne en Normandie à la veille du procès du capitaine Dreyfus à Rennes. Il fut l’ami d’Emile Zola.

Wikipédia. Pour les curieux, la sépulture de Joseph au cimetière du Père Lachaise.

Avant la Grande Guerre, Auguste est industriel. Il est implanté à La Rochelle au 15 rue Réaumur. Sa spécialité : la fabrication d’encens, conforme aux « prescriptions de la Bible (Exode 34, 35 et 36) » ! Pendant les quatre années de combat, Auguste connaît tous les honneurs : citations, médaille militaire, Croix de Guerre et médaille coloniale.

Papier à entête des encens Auguste Moinard (avant 1914). Collection Pierre Neyrand

Dans les années 1920, la quarantaine débutante, il devient juge au Tribunal de Commerce (durant 9 années), puis membre de la Chambre de Commerce (17 années). Belle réussite !
Producteur de produits chimiques destinés à l’agriculture, il est fait chevalier du Mérite Agricole en février 1930.

En 1931, il est secrétaire général de l’Automobile Club de la Charente-Inférieure, son adjoint étant son gendre Fernand Lagarde. En 1937, il est trésorier de la Chambre de Commerce sous la présidence de Christian Mörch (1861-1941).

Le viaduc du Môle d’Escale au port de La Pallice porte le nom de « Président Christian Mörch ». Il a présidé la Chambre de Commerce pendant une trentaine d’années. Son père, Wladimir (1832-1894), également président de la même chambre, est à l’origine de la création du port de la Pallice, inauguré en 1890.

Entre 1930 et 1935, Auguste est conseiller municipal de la ville de La Rochelle, puis adjoint du maire Léonce Vieljeux jusqu’en 1940 et de René Godard jusqu’en 1944. Résistant, il est démis de ses fonctions le 10 juin 1944 et déporté en Allemagne jusqu’en mai 1945.
En 1947, il devient maire de La Rochelle jusqu’à son décès survenu au cours de son mandat le 15 février 1951. La veille de son décès, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur.

Une rue porte son nom dans le quartier de La Trompette à La Rochelle.

La Rochelle, 23 juillet 1948. Le maire Auguste Moinard est à droite du Général de Gaulle. Cérémonie d’inauguration d’une stèle en l’honneur du maire Léonce Vieljeux, déporté et fusillé par les allemands. Source AD17
Le maire Auguste Moinard prononce un discours. On aperçoit un drapeau, il recouvre encore la stèle bientôt dévoilée. Collection Roger Lagarde

Une lessive marine et des produits à base de coquilles d’huîtres

Revenons à notre achat d’Angoulins. L’intention d’Auguste Moinard n’est pas de s’offrir une propriété de rapport et d’agrément comme il est précisé dans l’acte de Maître Chevalier. Dès 1920, il construit une fabrique de produits chimiques adjacente à sa nouvelle propriété. De cette petite usine, va sortir une lessive marine à double parfum (La Javanaise), des produits chimiques destinés à l’agriculture, dont une bouillie appelée « La Sans Rivale » pour le traitement des végétaux et une poudre de coquilles d’huîtres à l’usage des producteurs de volailles, comme l’était Raymonde Frick à cette époque avec son important élevage de la Motte Grenet.

ℹ️ Lire aussi : la Motte Grenet

La provenance des coquillages est assez étonnante. Dans les années 1920, Marguerite Moinard devient propriétaire d’une partie des buttes de coquilles d’huîtres de Saint-Michel-en-L’Herm au lieu-dit Les Chauds. Leur exploitation industrielle s’étend de 1924 à 1975. Ces buttes existent depuis le XIème siècle, lorsque les moines de la puissante abbaye de Saint-Michel contrôlaient la région. Les huîtres étaient ouvertes sur place et conservées dans des pots remplis de sel produit dans des salines à l’ouest du village. Le volume des coquilles est estimé à 500.000 m3 !

Les coquilles brutes arrivent à Angoulins. Elles étaient lavées, broyées et conditionnées selon l’usage. La poudre est aussi vendue au plus important client de la fabrique, l’usine bordelaise de la renommée lessive Saint-Marc créée en 1902.

Le Rocher de coquilles d’huîtres de Saint-Michel-en-L’Herm. Source internet

En 1921, le premier directeur de la fabrique est Elme Morin, 66 ans, originaire de Saint-Julien de l’Escap près de Saint-Jean d’Angély. Il habite rue Gambetta. Plusieurs métiers font tourner la production, mais à peine huit personnes habitant Angoulins y travaillent : un chaudronnier, un menuisier, six journaliers et ouvriers. J’ai relevé les noms des ouvriers angoulinois : Delphin Bréau, Fernand Grignon, Emile et Marie Puig, Pierre Relat, Eutrope et Henri Roux, Joseph Garnier, Pierrette et Germaine Chagneau, Modeste Boncinelli.

Sac de poudre de coquilles d’huîtres broyées pour les volailles. Collection Roger Lagarde

Après 1921, la gestion de la fabrique est confiée aux gendres de Marguerite Moinard. Il se trouve que l’époux d’Alice, Georges dit Charles Neyrand (1890-1983) et celui de Blanche, Fernand Lagarde (1888-1963), sont aussi reconnus comme industriels à La Rochelle, associés aux affaires d’Auguste. En effet, ils se connaissent depuis 1919, année de mariage de deux sœurs. Charles est le responsable de la fabrique et Fernand en est le directeur. Auguste, accaparé par son mandat d’élu municipal à partir de 1930, fait quelques apparitions, la pipe au bec ! Le bureau commercial est situé au 15 rue Réaumur à La Rochelle (comme les encens).

Buvard publicitaire (parfumé !) de La Javanaise. Collection Denis Briand
Facture de la fabrique Moinard. Années 1920. Collection Pierre Neyrand

Après la Seconde Guerre Mondiale

Le 9 juin 1945, Marguerite Moinard décède. Le 1er mars de l’année suivante, Auguste Moinard se remarie avec Germaine Baillot d’Etivaux (1895-1978). Elle est native de Salon-La-Tour en Corrèze. Elle connaît bien la famille car elle a été garde-malade auprès de Marguerite, atteinte d’une grave tétraplégie.

Dès le XVIème siècle, les Baillot étaient d’une famille bourgeoise connue de Limoges. Certains de ses membres ont été conseillers du Roi, trésoriers de France et officiers au bureau des finances de Limoges. À la Révolution française. « Anne-Martial » Baillot et son frère Benoist, sont seigneurs d’Estivaux sur la commune de Veyrac en Haute-Vienne.

Source, pdf, page 41

Au décès de leur mère Marguerite, Alice et Blanche héritent de la moitié des biens (maison et fabrique). Charles Neyrand et Fernand Lagarde, les époux respectifs des deux sœurs, s’associent avec leur beau-père Auguste : les biens sont mis en bail pour une durée de 30 ans à une société nouvelle appelée « Moinard et Compagnie ».

En décembre 1967, Germaine Baillot d’Etivaux vendra à la commune d’Angoulins une parcelle héritée de son défunt mari. Ce dernier l’avait acquise le 3 mai 1918 du couple Marie Personnat et Eugène Ferrand, quelques mois après l’achat de la propriété. Ce terrain servira de nouveau stade de football à la JSA.

ℹ️ Lire aussi : la Jeunesse Sportive Angoulinoise

Cette nouvelle société fonctionne jusqu’aux années 1950. En 1956, l’ensemble des locaux sont ensuite cédés à Roger Becquet, créateur de la SOGEMAP, SOciété de GErance de fonds de commerce d’usines pour la transformation de MAtières Plastiques ! Tout un programme… que je vous raconterai bientôt.

ℹ️ Lire aussi : l’usine Becquet (article à venir)

1985. Du balcon de la maison de famille, on aperçoit au fond le mur de la propriété achetée par le couple Moinard en 1917. On devine encore la marque Sogemap. Photo personnelle

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Documentation
Mes vifs remerciements à Roger Lagarde, le fils de Fernand, pour ses précieuses informations et les images confiées
, et à Pierre Neyrand, petit-fils de Charles, pour l’évocation de sa famille et le partage de sa collection.
Archives Départementales (état civil et recensements 1921 et 1926 de la population)
Angoulins, Mémoire en images, Denis Briand, éditions Alan Sutton, 2008
Légion d’Honneur : Archives Nationales.
Retronews
Photos personnelles