Le mur de l’Atlantique


Un blockhaus enterré au lieu-dit « Les Paradis ». Photo personnelle

L’organisation Todt

En juin 1933, Hitler décide de construire le premier réseau d’autoroutes d’Allemagne, la Reichsautobahn. Il confie cette mission à un ingénieur des travaux publics, Fritz Todt (1891-1942), membre du parti nazi. Mission remplie avec succès, plusieurs milliers de kilomètres d’autoroutes sont construits en un temps record.
En 1938, le dictateur souhaite édifier un mur à la frontière occidentale du Reich : le Westwall. Il confie cette nouvelle tâche à son efficace ingénieur. L’Organisation Todt est née. Ce n’est pas une entreprise d’Etat mais plutôt un état-major de direction chargé de passer des marchés avec des entreprises privées, d’organiser les différents chantiers et de contrôler l’avancée des travaux.
La guerre commencée,  cet ambitieux et gigantesque projet prend forme : l’Organisation va construire sur le littoral des batteries d’artillerie à longue portée, des bases sous-marines (dont La Rochelle), des aérodromes et des stations radar. Et à partir du printemps 1942, environ 15 000 ouvrages de l’Atlantikwall, le Mur de l’Atlantique, aux plans standardisés pour une construction rapide, à grande échelle. Le tout payé par le contribuable français au titre des frais d’occupation !

Un soldat allemand devant l’impressionnante batterie Todt à Cap Gris-Nez. Source Wikipédia
Le Westwall devient L’Atlantikwall, le mur de l’Atlantique en 1942. Source Herodote.net

La Rochelle Pallice, port stratégique

Dès la signature de l’armistice du 22 juin 1940, les autorités allemandes ont bien compris que la situation du port de La Pallice à La Rochelle est un lieu stratégique majeur dans la protection de la côte atlantique. La ville est occupée rapidement. Le maire, Léonce Vieljeux, refuse de collaborer, il est démis de ses fonctions le 27 septembre 1940 et remplacer par un préfet aux ordres de Vichy.
En avril 1941, les travaux de construction de la base sous-marine commencent et sont menés tambour battant. Jusqu’à 2000 ouvriers sont actifs sur cet immense chantier. En novembre 1942, la base est agrandie pour recevoir plus de sous-marins, les U-boats de la Kriegsmarine. Un nombre important d’ouvrages voit le jour autour de la ville, d’Esnandes à Châtelaillon, sur les îles de Ré et d’Oléron. Afin d’assurer la protection de cette forteresse de béton, une « poche » est créée en octobre 1944 autour de La Rochelle.

Le camp retranché de La Rochelle. Miné d’Esnandes à Angoulins, il se referme à Saint-Jean-des-Sables. Source : Service Historique de la Défense de Rochefort, cote MR 1_W_1852
Le camp retranché est une partie de la poche de La Rochelle. Constituée de deux lignes de défense (rouge et bleue), elle s’étendait de Fouras à Charron en passant par Forges et Courçon. Source persee.fr

Les ouvrages d’Angoulins

Deux secteurs de fortifications voient le jour sur notre commune : à la Pointe du Chay jusqu’au Loiron et autour du bourg jusqu’à Saint-Jean-des-Sables, à la limite de Châtelaillon.
Le Service Historique de la Défense de Rochefort possède de précieuses archives numérisées sur le Mur de l’Atlantique. Un important rapport a été établi pour la Marine entre 1945 et 1950, détaillant les plans des zones de défense et la description des ouvrages, au nombre officiel de 52 répertoriés sur la commune.
Le rapport met l’accent sur le fait que certains ouvrages ne font pas partie du Mur de l’Atlantique : ils ont été construits après le débarquement des alliés en juin 1944 mais, étonnamment, ne sont pas répertoriés sur les cartes. En 1998-1999, cet inventaire a été mis à jour par la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Poitiers (DRAC) : environ 80 ouvrages de défenses ont été répertoriés sur Angoulins, ce qui est considérable.
Un exemple du côté de Saint-Jean-des-Sables, ce grand garage qui abrite un imposant blockhaus n’est pas sur le plan :

Un passage au fond permet de voir l’étendue du blockhaus. L’ouvrage est partagé entre deux propriétés. Merci aux propriétaires de ce garage pour leur accueil. Photo personnelle

ℹ️ Lire aussi : Saint-Jean-des-Sables

1️⃣ De la Pointe du Chay au Loiron

Voici la carte des positions et des zones de défense établies par les allemands autour de la Pointe du Chay jusqu’au port du Loiron. Les secteurs sont différenciés par des prénoms.

Carte des ouvrages et zones de défenses établie à partir de 1945.
Source : Service Historique de la Défense de Rochefort, cote MR 1_W_1852_2_0083

Voici le texte du rapport remis au ministère de la Marine concernant ce secteur, se reporter à la carte ci-dessus :
« Les plages du versant nord de la Pointe du Chay sont bordées d’une ligne de katymines*. La plage au sud de la pointe d’une ligne d’obstacles. La pointe elle-même est barrée d’un champ de mines anti-char et anti-personnel pour garder la position MARTIN du côté de la terre.
L’ouvrage MARTIN groupe un canon de 75 en casemate axé au nord-ouest, la pièce pouvant être conduite sur une plateforme pour lui permettre de tirer sur tout l’horizon. Un autre canon de 75 sur plateforme est implanté sur la partie nord de la pointe. La défense immédiate de l’ouvrage, qui groupe quelques abris bétonnés, est assurée par plusieurs mitrailleuses en tobrouk et en niches qui s’échelonnent tout autour de la pointe.
Dans le sud-est de la pointe, les deux positions NIKOLAUS et OSKAR groupent chacune un canon de 75 sur plateforme, quelques mitrailleuses en niches complètent la défense de cette zone ».

*Le nom officiel est KMA ou mine anti-débarquement (Katymine est un petit nom affectueux donné par les anglais). Ces mines avaient un socle en béton d’où partait une « antenne » qui faisait détonner dès qu’un chaland de débarquement s’y frottait.

Rapport du livre VI, Le Mur de l’Atlantique, 1945-1950.
Source : Service Historique de la Défense de Rochefort, cote MR 1_W_1852
À cause de l’érosion, le tobrouk n°12 de la Pointe du Chay est aujourd’hui sur l’estran. Photo personnelle

La zone autour de la Pointe du Chay est minée. Un agriculteur du village, Constant Cosset, est malheureusement tué le 10 mai 1944 par une mine antipersonnel. Son nom figure sur le monument aux Morts et sur la base de données « Mémoire des Hommes ».

2️⃣ Autour du village

Voici la carte concernant le secteur du bourg jusqu’à Saint-Jean-des-Sables.

Carte des ouvrages et zones de défenses établie à partir de 1945. Le Moulin de la Pierre n’est pas référencé. Les trois ouvrages de la zone Berthold sont ceux situés au nord de l’impasse de la Velaine, tout près de Carrefour.
Source : Service Historique de la Défense de Rochefort, cote MR 1_W_1852_2_0085

Le texte du rapport concernant le village d’Angoulins :
« Juste à l’ouest d’Angoulins est implantée l’importante batterie ADAM, constituée de quatre canons de 155 de guerre sous casemates, axées vers l’ouest quart nord-ouest prenant donc sous son feu les abords sud du port de La Rochelle.
La défense rapprochée est assurée par des mitrailleuses en tobrouk accrochées à des casemates ou abris, la défense aérienne par deux canons légers en cuves bétonnées sur deux des casemates.
Le poste de direction de tir est situé au nord d’Angoulins, à côté d’une cimenterie qui a été utilisée par les allemands. Une plateforme pour canon se trouve à ses côtés.
Plus au sud, au lieu dit MOULIN DE LA PIERRE, au bord de la route descendant vers CHATELAILLON, un canon antichar en casemate tient sous son feu la dépression de terrain vers l’est.
Plus à l’est, une mitrailleuse dans sa niche peut prendre en enfilade la grande route nationale LA ROCHELLE – ROCHEFORT.
Plus au sud encore, au lieu-dit SAINT-JEAN-DES-SABLES se situe le point d’appui – ANTON – gardé du côté de la mer par une ligne d’obstacles de débarquement. Une casemate armée d’un canon de 75, implantée sur la dune au bord de la plage, balaye la pointe nord de la plage de CHATELAILLON. Sous la batterie même, un réseau de rails antichars en défend l’accès. Trois mitrailleuses en tobrouk gardent la position à l’ouest. Deux canons de 47 en tourelles de char sur tobrouk, situés de part et d’autre de la voie ferrée, gardent les deux ponts au-dessus de l’HERBAUDIÈRE et peuvent balayer en même temps la voie ferrée et la route littorale.
C’est à côté de cette position ANTON que le fossé antichar de la poche de LA ROCHELLE a son origine sud. Il est longé dans l’ouest par un champ de mines antichar et antipersonnel ».

Rapport du livre VI, Le Mur de l’Atlantique, 1945-1950.
Source : Service Historique de la Défense de Rochefort, cote MR 1_W_1852

Zoom sur le secteur Adam

Le secteur Adam était pourvu de six ouvrages. Quatre casemates, un abri pour les munitions (8.000 pièces pouvaient être stockées !) et un pour le personnel (poste de commandement). Ils sont tous aujourd’hui intégrés dans les différentes propriétés, sauf un dans le coin en bas à droite de la vue ci-dessous. Les deux blockhaus aux extrémités disposaient de tobrouks pour mitrailleuses MG40, considérées comme les meilleures de la Seconde Guerre Mondiale.
Ces quatre casemates étaient équipées de canon de 155 pointant vers La Rochelle. Les deux centrales disposaient d’une plateforme équipée du canon de défense antiaérienne Flak 30 au calibre de 20 mm.

Le dispositif allemand des rues Personnat / André Dulin. Cette dernière s’appelait « rue des Blockhaus » jusqu’en juin 1973. Image Google Maps

Galerie de photos du secteur Adam

Ajout d’août 2023 : les vues en noir et blanc des casemates et le plan détaillé des types 669 sont issus de la collection de Michel Arnaud, habitant la rue André Dulin. Qu’il en soit chaleureusement remercié ici.
Cliquer sur les images pour un affichage en grand.


À Saint-Jean-des-Sables, secteur Anton, au pied du tunnel de la voie ferrée, les 2 barres rouillées sont les restes d’une défense antichars. Info de Philippe Bernard. Photo personnelle
Secteur Anton. Tobrouk situé sous le château de la Sapinière, derrière la maison de l’Eclusier. Photo personnelle
Détail de ce tobrouk. En 2015, cet ouvrage disposait encore de son canon tchèque Skoda. Des audacieux ont creusé le béton et découpé la tôle pour le sortir. Ce cambriolage peu commun a fait l’objet d’un article dans Sud-Ouest car le butin a été retrouvé dans un musée tchèque (fait-divers rapporté par l’ancien maire d’Angoulins Daniel Vailleau. Photo personnelle

Que faire des ouvrages ?

En mars 1947, le Bureau Spécialisé de la Défense Passive de la Préfecture de La Rochelle envoie un questionnaire à chaque propriétaire de parcelles sur lesquelles les allemands ont construit un ouvrage. Il leur est posé une question simple : que voudriez-vous que l’administration fasse pour mettre fin à la gêne occasionnée ? Comme on peut le constater aujourd’hui, les propriétaires ne semblent pas avoir obtenu satisfaction car tout est encore en place !

Les réponses de Clémence Pigeonnier veuve Guichard. Les 3 blockhaus des Cinq Quartiers sont ceux de la rue André Dulin, voir plus haut. Source AD17

Les Archives Départementales ont conservé sept de ces questionnaires. En voici la synthèse.

PropriétaireAdresse, nature du terrainType d’ouvrageProposition du propriétaire
Jean Auger, négociant en boisLes Tertres, jardin et vergerBlockhaus souterrain, 150 m² environNivellement du terrain et remise en état de culture par l’enlèvement des matériaux provenant de la construction du blockhaus et étendu sur la partie cultivable.
Victor Cardinaud, cultivateurLes Paradis, champGros ouvrage en béton, 1000 m² (photo en haut d’article)Remise en état de culture
Victor CardinaudChay, champDéblais d’un abri léger, 500 m²Remise en état de culture
Victor CardinaudChay, champGravas, fils de (illisible)Remise en état de culture
André Carteau, ostréiculteurPointe du Chay, champ carrièreEmplacement bétonné pour mitrailleuse, 16 m²Sans proposition, indifférent
Clémence Pigeonnier, veuve Georges Guichard, propriétaireCinq Quartiers, champ, 2510 m², parcelle C166pBlockhaus, ciment armé, construit en juillet 1943Remise en état de culture des champs (exploitants Aimé et René Roy)
Clémence Pigeonnier, veuve Georges Guichard, propriétaireCinq Quartiers, champ, 2510 m², parcelle C166pBlockhaus, ciment armé, juillet 1943Remise en état de culture des champs (exploitants Aimé et René Roy)
Clémence Pigeonnier, veuve Georges Guichard, propriétaireCinq Quartiers, champ, 2510 m², parcelle C166pBlockhaus, ciment armé, juillet 1943Remise en état de culture des champs (exploitants Aimé et René Roy)
Clémence Pigeonnier, veuve Georges Guichard, propriétaireLa Motte Grenet, parcelle A462Fondations pour emplacements baraques, septembre 1940Remise en état de culture des champs (exploitants Aimé et René Roy)
Pierre Lhoumeau, agriculteurLes Chirats, champ, terre labourable2 blockhaus, 300 m² chacun, construits en 1943 (exploitant Auguste Guilloteau, métayer)Disparition complète des ouvrages ou, du moins, la possibilité de labourer et de pouvoir récupérer les terrains rendus inutilisables par ces ouvrages
Pierre Lhoumeau, agriculteurLes Coudrans, champ, terre labourableBlockhaus 15×6 90 m², construit en 1943Idem au dessus
Georges Nadeau, agent général de Caisse d’EpargnePas des Eaux (La Jarne), champ, terre labourable (exploitant, Auguste Guilloteau, métayer)Blockhaus, 700 m², chemin de 100 m de long, 3 m de large, superficie de 400 m ² de terre à épandre (épaisseur de 1 m environ)Demande de remise en culture des terrains occupés par ces ouvrages. À noter que si rien n’est fait au blockhaus situé sur la commune de la Jarne, le champ est complétement inutilisable.
Georges Nadeau, agent général de Caisse d’EpargneLes Paradis, champ, terre labourable (exploitant, Auguste Guilloteau, métayer)Blockhaus construit dans une carrière, 250 m²Idem au dessus
Maurice Poniard, cultivateurLe Chay, champBlockhaus cimentNettoyer le terrain
Maurice Poniard, cultivateurLes Anglois, champBlockhaus cimentNettoyer le terrain
Synthèse des réponses des propriétaires d’ouvrages allemands. Source AD17

Cinq longues années pour les angoulinois

De part sa position stratégique au sud de la poche de La Rochelle, rares sont les communes françaises à disposer d’autant d’ouvrages du Mur de l’Atlantique que celle d’Angoulins. Cette profusion de casemates, tobrouks, soutes à munitions et autres plateformes à canon impliquait une présence militaire importante dans le village et ce, depuis la signature de l’armistice de juin 1940 jusqu’à la reddition des allemands de la poche de La Rochelle le 7 mai 1945.
De nombreuses maisons ont été réquisitionnées pendant cinq années, comme celle de la place de la République (pavillons Pianazza), la grande maison rue Gambetta à droite de l’ancienne Coop, la villa Les Platères et tant d’autres.
Sous cette chappe de plomb, il ne faut pas oublié que les angoulinois ont vécu des temps difficiles.

ℹ️ Lire aussi : la famille Mossé, martyre des nazis


Galerie de photos


Documentation :
Wikipédia
Photos personnelles
Mes remerciements à Michel Arnaud pour la communication et l’autorisation de publication des images exceptionnelles des 4 casemates du secteur Adam (rues Personnat et André Dulin).
Merci aussi à M. Noël Michot, propriétaire de la Ferme du Moulin de la Pierre pour la diffusion de la photo du moulin.
Mes remerciements aux autres propriétaires d’ouvrage, ils se reconnaîtront !
Je remercie le Service Historique de la Défense de Rochefort pour l’autorisation de publication des documents de la cote MR 1_W_1852.

Article mis à jour le 5 août 2023