Les fours à chaux sont connus depuis longtemps. Nos ancêtres romains connaissaient déjà cette technique de la cuisson du calcaire pour la construction. Lors du XIXᵉ siècle, de nombreux fours sont mis en service dans la région, quatre usines — chaux et ciments — concernant notre village. Cet article est le premier d’une série consacrée aux petites industries installées à Angoulins.
Pause culturelle : quelles sont les différentes sortes de chaux ?
La chaux s’obtient par cuisson du calcaire, sa proportion d’argile est inférieure à 21% :
- La chaux grasse : moins de 15%. Elle est utilisée comme chaux agricole.
- La chaux hydraulique : de 15% à 18%. Elle est utilisée comme liant hydraulique pour les bétons en élévation.
- La chaux lourde : de 18 à 21%. Plus concentrée, et donc plus résistante, elle est utilisée pour la construction, les murs et fondations.
- La fleur de chaux est un produit issu de la chaux vive éteinte avec de l’eau. Assez difficile à obtenir, cette matière naturelle et noble est particulièrement recherchée pour réaliser des badigeons, des enduits ou autres travaux de finition.
Le ciment est composé de 21 à 26% d’argile :
- Ciment naturel ou Portland : de 21% à 24%. Il a des capacités de résistance un peu supérieure à la chaux lourde. On s’en sert pour le dallage, murages, bassins.
- Ciment artificiel. Il est obtenu par cuisson en proportion exacte de calcaire et d’argile pur compris de 21% à 22%. C’est le plus résistant et le plus utilisé, notamment comme béton armé. Mais, il coûte plus cher à produire, car il faut deux carrières, deux fours et plus de soins pour sa fabrication. Il est utilisé dans la construction, mais également comme enduit d’enrobage sur l’acier parce qu’il empêche la rouille. Ce ciment peut être aussi de type Portland.
- Ciment Prompt : de 22% et 24%. Ciment à prise rapide utilisé pour les moulages et scellements. Il se divise encore en demi-lents et demi-prompts qui sont des variations de proportions.
- Ciment de laitier. Il est obtenu sans argile, mais par le mélange de chaux et de laitier de haut fourneau refroidi violemment dans l’eau. Le résultat est une granulation, séchés, broyés et de nouveau mélangés avec de la chaux, le ciment obtenu est utilisé comme liant. Source
Portland fait référence à une île au sud de l’Angleterre, riche d’un calcaire utilisé largement dans le Royaume-Uni pour la construction de bâtiments. Une référence !
Cette carte géologique des années 1960 montre l’emplacement des quatre usines :
1- Celle d‘Auguste Cardinaud, situés aux Cadelis ;
2- Celle de la Société des Ciments et Chaux du Mans, dernier exploitant à La Velaine ;
3- Près de la gare, à la Montée sud et aux Russons non loin de la concurrence, celles des frères Guichard.
1️⃣ L’usine à chaux d’Auguste Cardinaud au lieu-dit « Les Cadelis »
Elle est située en bordure de la route nationale 137, à l’emplacement actuel de l’hôtel « Première Classe » et du Buffalo Grill. Elle produit tout type de chaux.
Sur cette image de 1975, on voit très bien la trace qu’a laissée l’exploitation, à partir de la fin des années 1890 jusqu’aux années 1930.
Ce four était exploité par Auguste Cardinaud (1874-1924), alias Louis. Il est cultivateur, facteur au début du siècle puis industriel. C’est le seul patron de la fabrique dans les premières années du siècle jusqu’à son décès survenu accidentellement le 10 septembre 1924. Le malheureux est tombé dans le four ! Cet évènement suscite une vive émotion chez les Angoulinois. Il est relaté dans le journal « L’Écho Rochelais » du 13 septembre 1924.
Sa veuve, Hortense Charlotte Picard (1879-1962) reprend la direction de l’usine. Elle en a l’expérience, car travaillait avec son feu mari.
Les frères d’Auguste :
• Jean Faustin (1867-1936), alias Eugène. Dans les documents le concernant, il est entrepreneur de maçonnerie, tailleur de pierre et patron maçon.
• Albert (1878-1959) est cultivateur, préposé des Douanes, tailleur de pierre et maçon. Il est connu de la famille pour être avant tout douanier.
Leurs activités sont cependant complémentaires de la fabrique de chaux. Quoi de mieux que d’utiliser les produits de la famille pour ses propres clients !
2️⃣ L’usine à chaux et ciments au lieu-dit « La Velaine »
L’exploitation de cette carrière débute dans les années 1880 en bordure du chemin de la Velaine. Elle va connaître une vie assez mouvementée. Au départ, la société est dirigée par Pierre Michelin (né en 1855 à La Rochelle) et son frère Louis (né en 1859 à Angoulins). Leur nom est une marque déposée qui indiquait l’origine du produit, écrit sur le sac ou le scellé comme on le verra plus bas.
En avril 1892, une nouvelle société est constituée, la société des Chaux Hydrauliques d’Angoulins (marque Michelin) dont la raison sociale est Charles Bonneau et Cie. Ce gérant, négociant de La Rochelle, reçoit le concours financier de particuliers Angoulinois : Ernest Damour, Louis Rouché (mon aïeul !), André Poniard, Edouard Pigeonnier et Marie-Auguste Coirard.
Le 14 septembre suivant, de cette alliance va naître une toute nouvelle entreprise : la Société des Ciments Portland artificiels et Chaux Hydrauliques de La Charente-Inférieure (marque Port de La Pallice). Ouf ! Celle-ci continue l’exploitation de la chaux de marque Michelin sous la direction de Charles-Louis Bonneau et, à côté, construit une nouvelle usine de fabrication de ciment Portland.
L’aventure ne va pas durer longtemps. Le 26 octobre 1894, le Tribunal de Commerce de La Rochelle prononce la faillite. L’usine, l’ensemble du matériel et des terrains sont mis aux enchères en novembre. Le repreneur est la Société Anonyme des Ciments Portland d’Hardelot (Pas-de-Calais). Elle a pour raison sociale Société Hector Basquin et Cie. Celui-ci possède deux usines, à Angoulins et l’autre à Neufchâtel près de Boulogne-sur-Mer. Hector Basquin est né en 1856 à Saint-Quentin dans l’Aisne.
En janvier 1908, une nouvelle entité est constituée : la Société Anonyme des Fours et Usines d’Angoulins dont le siège social est situé à Angoulins. Cette entreprise est créée à Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, certainement après cession des affaires d’Hector Basquin.
Une aventure encore une fois écourtée : le 9 décembre 1910, le Tribunal de Commerce de La Rochelle acte la faillite de l’entreprise. Décidément ! Une longue procédure de liquidation commence, car il faut attendre le 22 janvier 1920 pour que le syndic de faillite clôture définitivement les comptes !
En octobre 1913, l’usine semble encore fonctionner. L’entreprise prend pour nom les Grands Fours à Chaux d’Angoulins dont le capital est de 200 000 francs soit 650 000 euros. Le siège social est fixé à Angoulins.
Au début des années 1920, les grands fours à chaux sont acquis par Théophile Conilleau (Le Mans 1882 – Melun 1947). Le 25 janvier 1922, il apporte l’ensemble à la Société des Ciments et Chaux d’Angoulins-sur-Mer dont il est le fondateur. Le siège social est situé dans une belle maison au 9 rue du Père-Mersenne au Mans dans la Sarthe.
La société fait faillite en 1935. Espérons que les souscripteurs de cette obligation ont — en partie — récupéré leur capital, car, comme il est indiqué, « la société s’interdit tout remboursement avant 1948 ! »
S’en est finie de l’exploitation à La Velaine, la carrière va pouvoir retourner à la nature. L’usine est rachetée par André Guichard, puis revendue à Monsieur Roy. Plus tard, la carcasse et les terrains deviennent la propriété de Record au début des années 1970 pour la construction du centre commercial.
Une vue Google Street permet de visualiser le trou laissé par l’exploitation.
Sur cette image de 1950, on distingue la trace qu’ont laissée cinquante années d’exploitation entre les deux chemins verticaux (la grande carrière à gauche est celle des frères Guichard).
3️⃣ La carrière et les usines des frères Guichard
La société des frères Guichard est créée le 30 avril 1885. L’acte de constitution est signé chez maître Jules Michel à Angoulins. Léon (1843-1923) apporte le terrain situé en face de la gare au lieu-dit La Montée sud et ceux acquis dans le secteur des Russons. Lui et son frère André (1839-1911) construisent les usines de production de chaux lourde, ciment et parpaings issus de mâchefers côté gare et de chaux diverses côté Russons, tout près de l’usine de La Velaine.
Les Archives Départementales possèdent le premier registre comptable de la société. On y voit l’apport du terrain et les différents achats de matériaux pour construire l’usine de la gare.
Les comptes de la société sont tenus par la banque privée des frères protestants Eugène et Théophile Babut de La Rochelle. Cette grande banque d’affaires financera en partie la construction du nouveau port de La Pallice inauguré en 1890.
Une seule entreprise, mais deux sites de production
Comme écrit plus haut, l’usine de chaux lourde, ciment et parpaings est située en face de la gare, à proximité d’une petite carrière. Une autre est située aux Russons, à proximité de l’usine concurrente de La Velaine. C’est ici que les autres types de chaux sont fabriqués. Les produits finis sont vendus localement, mais également acheminés vers la gare et « exportés » dans d’autres régions, comme la Bretagne où les tuiles collectrices de naissains d’huître étaient recouvertes de chaux (le chaulage).
Comme l’atteste le buvard ci-dessous, les productions sont variées. Une offre complète pour répondre aux besoins des clients !
L’usine de la gare ferme ses portes à l’aube des années 40. Celle des Russons (chaux et ciments) est réquisitionnée par les allemands pour construire les ouvrages locaux du Mur de l’Atlantique. Elle cesse ses activités vers 1967.
ℹ️ Lire aussi : le Mur de l’Atlantique
Une dynastie Guichard au service de l’entreprise
La lignée des Guichard comporte une forte proportion de maçons et de tailleurs de pierre.
Les créateurs sont déjà connus : Léon (1843-1923) et son frère André (1839-1911) dont les témoins du décès sont ses deux neveux, Eugène et Victor Cardinaud, chaufourniers aux Cadelis. Une concurrence qui reste familiale !
Le jeune frère des créateurs, Gustave Guichard (Gustave 1ᵉʳ pour la famille, 1848-1911) est de l’aventure et les remplace lorsque le temps du repos arrive. Il exerce le métier d’agriculteur, de maître maçon et tailleur de pierre. Il devient le maire d’Angoulins à compter de 1889 jusqu’à son décès en mars 1911.
Au décès de Gustave, son épouse Eulalie Marie Veillat (1850-1917) reprend la direction des usines (buvard ci-dessous, en bas à gauche). Elle est aidée par son fils Gustave Louis Antoine (le 2ᵉ ! 1875-1956) qui secondait déjà son défunt père depuis 1896.
En 1902, un four à chaux situé à La Croix des Bots, commune de Saint-Laurent-de-la-Prée est affermé à Gustave Guichard.
Plus tard, les Guichard exploiteront une carrière à Aytré près du champ de tir. Après sa fermeture, un trou rempli d’eau sert de piscine aux enfants des quartiers (pratique lorsque la marée est basse !).
Le frère de Gustave II est Marius Jules André Guichard (1883-1945) alias Georges pour la famille. Il a acquis sur place une expérience dans la fabrication de chaux qu’il mettra à profit à Brioude (Haute-Loire) dans une autre usine familiale (buvard rouge ci-dessus) entre la fin de la Première Guerre mondiale et 1923, date du décès de son oncle Léon. Cette date marque son retour à Angoulins pour assister son frère.
La relève est assurée par les trois enfants de Gustave II, Gustave Louis André (le 3ᵉ, surnommé Parfait, car né le jour de ce saint, 1899-1971) comptable à l’usine en 1926, Louis Germain Serge Guichard (1905-1991) et son jumeau André Clément Serge Guichard (1905-1972). Serge, parce qu’ils sont nés le jour de la Saint-Serge. Une tradition chez les Guichard de rajouter le prénom du Saint du jour le jour de la naissance.
Une rue évoque le souvenir des jumeaux près de l’usine de la Montée sud à la gare, à proximité de trois maisons basses construites en parpaings de mâchefer pour loger les chaufourniers. L’entreprise est importante, des maisons rue Thiers sont également construites pour installer les ouvriers.
Le déclin et une reconversion touristique
Les chaux et ciments devenant l’affaire de grands groupes industriels, le déclin des fours à chaux d’Angoulins, et ceux des Guichard en particulier, survient inévitablement. Après la fermeture de l’usine de la gare, des bâtiments sont achetés par une entreprise de glaces, mais les lieux restent en l’état jusqu’à la fin des années 1960. L’ensemble des constructions est rasé et laisse la place à un camping tenu par Louis jusqu’à sa retraite. Ce camping ferme vers 2001. Sort de terre un lotissement dont la Rue du Four et L’Espace Louis Guichard sont les deux seuls indices du passé du lieu. Ainsi va l’urbanisation des alentours de La Rochelle !
Quant à l’usine des Russons, les terrains sont vendus au début des années 70 à l’alliance L’Union Decré qui ouvre un supermarché Record, donnant alors le top départ à la grande zone commerciale. Il y a peu, une partie des terrains est concédée à la mairie pour y construire les nouveaux ateliers municipaux.
ℹ️ Lire aussi : la zone commerciale
ℹ️ Les autres articles de cette série sont ici : Accueil > Articles > Vie économique > Les petites industries
Documentation
Le Patrimoine des Communes de Charente-Maritime, Flohic Éditions
Mémoire en Images, Angoulins, Denis Briand, Éditions Alan Sutton
Internet pour certaines cartes postales
Archives Départementales de La Rochelle
Géoportail et Google Maps
Photos personnelles
Remerciements pour leurs précieuses connaissances
Ma cousine Martine Guichard et mon cousin Raymond Normand
Monsieur Claude Torchon.