L’usine d’engrais Catté


Le 24 septembre 1893, le conseil municipal doit délibérer sur l’installation d’une usine d’engrais animal au lieu-dit « Les Russons ». Le Préfet a autorisé huit jours plus tôt la construction de cet établissement alors que l’enquête publique avait émis un avis défavorable. Gustave Guichard, le maire, et ses élus sont passablement agacés et expriment leur plus vif mécontentement. La population est informée, tous vont œuvrer pour faire échouer le projet.


Comment est fabriqué cet engrais ?

Le procédé consiste à fabriquer un engrais à base d’ossements animaux : le noir animal. Aussi appelé charbon d’os ou charbon animal, le noir animal est une matière riche en carbone obtenue « par la calcination à l’abri de l’air des os dans un creuset pour empêcher l’accès de l’air ». Il est utilisé pour sa propriété de filtration qui permet la décoloration de certaines solutions. Il sert également comme engrais ou comme pigment noir.

Cette gravure illustre un four de production de « noir animal ».

Les merveilles de l’industrie, 1873, four pour la calcination des os, par Louis Figuier. Licence CC BY 2.0

La délibération du conseil municipal

La voici dans son intégralité :
Conseil municipal du 24 septembre 1893
Projet de construction d’une usine d’engrais.

Considérant qu’un sieur Catté a, le 13 juillet 1893, sollicité de l’autorité préfectorale l’autorisation d’établir au lieu-dit « Les Russons », commune d’Angoulins, une fabrique d’engrais animal, établissement classé en raison de sa nature dans la première catégorie des établissements dangereux et insalubres.
Que cette usine serait située à 200 mètres environ de l’habitation du sieur Cardinaud Pousteau, à 500 mètres environ de la gare, de la propriété de la Verpillière et de la maison du sieur Rouché et à 550 mètres des premières maisons agglomérées du bourg.
Que l’intéressé a omis de faire figurer sur le plan produit à l’enquête un groupe de maisons d’habitation situées près de la gare, à la limite extrême du périmètre de 500 mètres et dont une partie est même comprise dans ce périmètre.
Considérant que pour donner suite à cette demande, l’autorité préfectorale a dû prescrire des enquêtes de commode et incommode dans les communes intéressées.
Qu’au cours de ces enquêtes et notamment celle ouverte dans la commune d’Angoulins, de nombreuses et énergiques protestations se sont produites et ont été suivies d’un avis défavorable du maire de cette commune.
Que, sans même attendre le résultat de l’enquête ouverte dans la commune de Salles, l’une des communes intéressées.
Monsieur Le Préfet, après avis du Conseil d’Hygiène et du Conseil de Préfecture, mais peut-être un peu précipitamment, a, par arrêté du 16 septembre courant, autorisé le sieur Catté à procéder aux travaux d’installation de l’usine projetée.
Considérant que la municipalité d’Angoulins n’a pas eu connaissance de l’avis favorable du Conseil d’Hygiène et qu’elle n’a pu conséquemment faire examiner contradictoirement l’efficacité des procédés du sieur Catté, et ce, en temps utile, c’est-à-dire avant qu’il ait été autorisé à établir sur la commune d’Angoulins ce qu’on pourrait appeler un champ d’expérience.
Considérant que le Conseil Municipal d’Angoulins se faisant l’interprète des sentiments unanimes de ses concitoyens, a le devoir de se pourvoir devant l’autorité compétente contre l’arrêté susvisé.
Que pour ce faire, il importe que la commune soit habilitée par Monsieur Le Préfet à exercer ce recours dans les formes prescrites par la loi.

Un extrait de la délibération. Source Mairie d’Angoulins

Considérant qu’Angoulins et Châtelaillon font d’immenses sacrifices pour attirer chaque année de nombreux étrangers qui viennent respirer l’air pur de la mer.
Que l’usine dangereuse et insalubre projetée dans la commune d’Angoulins serait de nature à éloigner à jamais tous ces étrangers, ce qui serait une cause de ruine pour le pays, et que, par suite, dans l’espèce, l’intérêt général paraît avoir été sacrifié à l’intérêt privé.
Le Conseil Municipal, après en avoir délibéré selon la Loi (le maire entendu dans son rapport verbal), émet, à l’unanimité, l’avis de solliciter Monsieur Le Préfet, l’autorisation dont il vient d’être parlé, pour le prévenir à former un recours dans les formes légales contre l’arrêté préfectoral du 16 septembre courant autorisant le sieur Catté dans sa demande.
Que, dans ce but, ampliation de la présente délibération sera transmise sans délai, vu l’urgence et le péril certain que ferait à venir à tous les habitants l’installation de l’usine dangereuse et insalubre de première classe que se proposerait d’établir M. Catté.
Protestant par la présente délibération et de la façon la plus énergique contre l’atteinte des plus graves portées, en prévision du moins, contre la santé des habitants et leurs intérêts.
Fait en délibéré les jour, mois et an que dessus et ont, les membres présents, signé au registre après lecture.
Le maire, Gustave Guichard… (suivi de la signature des membres du conseil)


D’après les indications de distance, l’emplacement supposé de l’usine projetée est celle-ci :

Emplacement supposé de l’usine, au lieu-dit « Les Russons ». Image vers 1950, IGN Remonter le Temps
Le même repère aujourd’hui, vers la rue des Russons. Image Géoportail

La requête des Angoulinois

Le 28 septembre suivant, des personnalités du village se mobilisent et mandatent un huissier pour signifier au sieur Catté qu’ils ne veulent pas d’usine d’engrais sur la commune. Le principal argument avancé est le classement de l’usine par l’administration dans la première classe des établissements insalubres et dangereux.

Ils menacent l’intéressé d’un procès au Tribunal et de 500 000 francs de dommages-intérêts. Sacré somme !

Ces personnalités sont : Alphonse Gauvin, négociant à La Rochelle, bâtisseur de la villa Oasis à Saint-Jean-des-Sables, Gustave Guichard, propriétaire et maire, Louis Poniard, menuisier, propriétaire, et Louis Cardinaud, cultivateur, propriétaire aux Russons (moulin du Pont de la Pierre).

La mobilisation paie

La victoire est rapide ! Le Préfet, par arrêté du 12 octobre 1893, reporte l’établissement de l’usine Catté. Rapide et totale : aucune usine ne verra le jour à cet endroit. La décision n’a pas traîné, d’autant plus que l’arrêté du 16 septembre n’avait aucune valeur légale, n’ayant pas été notifié aux intéressés, la commune et l’industriel.

Cependant, bien plus tard, les narines de nos concitoyens auront l’occasion de sentir — suivant l’orientation des vents — les sympathiques effluves de l’usine Gratecap d’Aytré, également spécialisée dans les engrais. Beaucoup s’en souviennent à Angoulins…


Documentation
Mairie d’Angoulins, conseils municipaux
Wikipédia
IGN Géoportail