Albert Denis fut le maire d’Angoulins de mars 1965 jusqu’en mars 1983. Ces 18 années à la tête de la mairie sont une période charnière pour notre village. Les « trente glorieuses » touchent à leur fin, la période moderne se dessine avec ses avantages et ses inconvénients. Son conseil municipal eut à gérer d’importants dossiers, comme le nouveau stade, l’assainissement, de nouveaux trottoirs et la création de la ZAC de La Velaine en 1973. Puis celle des Fourneaux avec le SIVOM de La Rochelle, ancêtre de la CDA, dont les travaux débuteront après son dernier mandat.
À l’image de l’agglomération rochelaise, le village prend de la consistance avec la création de nombreux lotissements (la population s’est accrue de 400 habitants de 1965 à 1983). Trois mandats dont les deux premiers intenses en réalisations.
Un grand merci à Jean Konrad-Kasso, le petit-fils d’Albert Denis, pour m’avoir communiqué quelques informations biographiques utiles à la rédaction de cet article.
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Des racines charentaises
Albert Maurice Denis naît le 14 février 1909 au 97 de la rue Denfert Rochereau à Saintes. Son père Abel, 29 ans, originaire de Guimps en Charente, est chef d’équipe aux Chemins de Fer de l’État. La gare est d’ailleurs toute proche de la maison. Sa mère, Alice Bodin, 23 ans, de Brives-sur-Charente, est sans profession. Mais, elle a fort à s’occuper avec ses deux premières filles, Jeanne née en 1903 et Ada née en 1906.
À l’âge de 16 ans, Albert entre en apprentissage aux ateliers de réparation des trains de la gare de Saintes. En 1925, cet établissement est en plein développement, la ville est un carrefour ferroviaire important entre Bordeaux, Angoulême, La Rochelle, Niort, Royan et plus loin Nantes.
Un premier mariage
Albert se marie le 22 février 1930 à la mairie de Saintes avec Annette Rouffineau (1909-1998), originaire de la ville. Une semaine les sépare, ils ont tous les deux 21 ans. Deux enfants vont naître de cette union : Jean et Pierrette.
Albert embrasse le métier de conducteur de locomotive. Il va découvrir du pays. Sa première affectation est le dépôt de Dreux, en Eure-et-Loir.
La guerre et la Résistance
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Albert est mobilisé. Il s’est engagé dans la Résistance. Comme cheminot, il participe à certains déraillements volontaires, des erreurs d’aiguillages et des sabotages de voies. À cette époque, il est conducteur au dépôt de Thouars dans les Deux-Sèvres.
L’engagement politique et le second mariage
La camaraderie de la Résistance incite le jeune Albert à adhérer au puissant Parti Communiste Français. Le retour à la paix sonne néanmoins la fin du couple qu’il forme avec Annette. Le tribunal civil de Bressuire prononce leur divorce en février 1945. Cinq ans plus tard, le 14 février 1950, jour anniversaire de ses 41 ans, Albert épouse à la mairie de Thouars Marie Gauffreteau (1909-1971), originaire de Chanteloup, à quelques dizaines de kilomètres.
Sa dernière affectation, la gare de La Rochelle
Albert avait un don particulier, celui de faire passer le feu. C’est durant sa carrière de conducteur de locos vapeur qu’il l’a découvert : sur une locomotive, ils étaient toujours plusieurs. Un jour, l’un d’entre eux s’est gravement brûlé au bras en rechargeant la chaudière. Mais, la machine lancée, pas question de s’arrêter. Il s’est trouvé à effleurer le bras du compagnon brûlé. Celui-ci a immédiatement demandé à Albert de le retoucher, car cela le soulageait. D’abord, incrédule, il a douté. Mais, par la suite, il est devenu une légende. Quand un mécano s’était brûlé, on venait le voir d’autres dépôts.
Pour son dernier poste de conducteur de train, Albert est affecté au dépôt de La Rochelle. Il se porte volontaire pour piloter les toutes nouvelles locomotives Diesel-électriques.
Une vidéo historique à voir absolument !
Merci à Jean pour ce partage !
En 1958, le service communication de la SNCF tourne un film sur une révolution ferroviaire en cours, le passage de la locomotive à vapeur à celle mue par un moteur Diesel-électrique.
Le cadre est celui de notre région, plus précisément la gare de La Rochelle. Un mécanicien, Denis, doit abandonner sa chère locomotive Pacific pour une 060DB. À noter que la machine 060DB01, première de la série, a été livrée au dépôt d’Aytré Bongraine au sud de La Rochelle en décembre 1956.
Ce mécanicien, acteur pour la circonstance, est Albert Denis.
En 1964, l’heure de la retraite a sonné. Âgé de 55 ans, Albert et Marie s’installent à Angoulins, dans une petite maison au numéro 13 de la rue de Bel Air.
L’engagement municipal
Les élections de 1965
En mars de cette année, le « Parti » pousse Albert et quelques camarades à se porter candidat aux élections municipales. Trois listes de 17 candidats s’affrontent, dont la sienne, principalement communiste, même si certains candidats sont dépourvus d’étiquette. Le scrutin est plurinominal majoritaire.
Pour rappel, ce mode de scrutin concerne les petites communes (aujourd’hui de moins de 1 000 habitants). Des listes sont présentées aux électeurs. Ils votent pour l’une d’entre elles, mais peuvent rayer des noms. Sont élus au premier tour ceux qui ont obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés et un quart des voix des électeurs inscrits. S’il reste des postes à pourvoir, un second tour est organisé. Les candidats atteignant le plus grand nombre de voix sont élus. Si plusieurs candidats obtiennent le même nombre de suffrages, c’est le plus âgé qui est élu.
Au premier tour, aucune majorité ne se dégage. Albert est 15ᵉ sur 51. Un second tour est nécessaire. Une alliance avec Georges Nadeau, tête de liste concurrente, permet à Albert et ses colistiers d’être largement en tête au second tour : c’est une surprise, ils ne s’y attendaient pas.
Après l’élection, tout ne se passe pas comme prévu. Fort de cette nette victoire inattendue, Albert Denis, tout nouveau maire choisi par ses amis, ne respecte pas l’accord scellé avec Georges Nadeau, la promesse du poste d’adjoint à Marc Robert (1899-1973), son ami colistier élu. Il est proposé à Maurice Gaillard (1911-1987), menuisier reconnu, mais il refuse. Son métier est trop prenant et il craint de se mettre à dos les électeurs à la sensibilité politique différente. Sage décision pour la bonne marche des affaires !
Finalement, Pierre Villemonteix (1908-2001), élu de la liste Denis, émet l’idée de choisir le plus jeune, Jacques Carteau (né en 1934), ostréiculteur, sans étiquette politique.
En réalité, le plus jeune est Gilbert Caméli (1937-2017). 2 ans et demi de moins au compteur !
Jacques Carteau s’est engagé aux élections de 1965 pour réaliser son souhait de voir assainir les marais gâts* du Chay. Cela prendra du temps, mais il y parviendra. L’ostréiculture s’en est portée bien mieux par la suite.
* Les marais gâts sont d’anciens marais salants reconvertis en prairies, dont les bassins sont impropres à la culture des huîtres.
L’expérience vient de l’extérieur
Installé dans le fauteuil de maire, Albert Denis n’a pas l’expérience de la gestion d’une commune. Il hérite d’une situation difficile, car de nombreux domaines ont été négligés par le précédent conseil. Mais, il peut compter sur l’expérience d’un camarade du Parti, Eugène Hours.
Né à Vincennes en 1900, Eugène Hours est un homme expérimenté. Il a été élu au conseil municipal de Mitry-Mory en Seine-et-Marne. Arrivé à Angoulins après la Seconde Guerre, son aide est précieuse pour la mise en route de la nouvelle équipe municipale. Homme de l’ombre, il est à l’origine de nombreuses décisions. En 1971, il est élu conseiller du second mandat d’Albert Denis, mais quitte Angoulins rapidement. Il décède en avril 1977 à Antibes dans les Alpes-Maritimes.
Le 1ᵉʳ août 1965, le secrétaire, ancien instituteur, Pierre Laramy (1899-1967) prend sa retraite et est remplacée provisoirement par Eugène Hours. Un an plus tard, la charge de travail devenant de plus en plus importante, une secrétaire à temps plein est embauchée, Simone Wolentenowicz (1939-2020), l’épouse de Jacques Carteau. Femme d’expérience, elle tiendra ce poste plus de trente années jusqu’à sa retraite en 2003.
L’équipe municipale a bénéficié également, à partir de la réélection de 1971, de la compétence et de l’entregent de Pierre Codet (1914-1989). Il sera conseiller municipal d’Albert Denis pendant 12 ans.
Pierre Codet est né à Angers en 1914. Militant CGT et membre du Parti Socialiste avant la guerre, il participe au réseau « Résistance Fer » avec ses collègues rochefortais de la SNCF. En 1944, il adhère au Parti Communiste et occupe différentes responsabilités importantes dans notre département. Secrétaire adjoint de l’Union Départementale CGT en 1947, il est élu conseiller municipal de Rochefort en 1947. Reconnu comme un extrémiste politique par les Renseignements Généraux, il est révoqué de la SNCF en 1952, mais continue ses activités syndicales et politiques au plus haut niveau. En 1966, il est président de la CAF 17 et administrateur de l’Office des HLM. Il meurt accidentellement en 1989 à Angoulins.
Source Maitron
Les réalisations des trois mandats (1965-1983)
Dès le départ, la lecture des comptes rendus des conseils municipaux montre que la gestion de la mairie se complexifie et le travail à fournir aux administrés devient important. Il faut rattraper le retard évoqué plus haut. La charge de travail implique de nouvelles embauches, sujet souvent à l’ordre du jour du conseil municipal. Les services de la mairie s’étoffent et se professionnalisent, comme le secrétariat et les services techniques.
Des trois mandats assurés par Albert Denis, les deux premiers sont les plus prolifiques en termes de réalisations. J’ai rencontré un ancien conseiller du troisième, il souligne un mandat sans grand élan, au collectif souvent négligé. L’usure du pouvoir…
En décembre 1971, neuf mois après la réélection d’Albert, sa seconde épouse Marie décède. Née comme lui en 1909, ils ont un autre point commun, leur divorce respectif en 1945. Pupille de la Nation — son père est mort pour la France en 1915 — Marie est inhumée dans le cimetière d’Angoulins avec sa mère Marie Métais (1888-1951).
En janvier 1975, une sérieuse mésentente amène l’adjoint Jacques Carteau à démissionner. Il est remplacé par Francis Robert (1925-1998). Un second poste d’adjoint est créé. D’après certains témoignages que j’ai pu recueillir, Albert Denis est assez autoritaire, des décisions sont prises sans concertation, mais les différentes commissions fonctionnent à peu près normalement. Le rythme des réalisations est en conséquence soutenu, dont voici les plus importantes.
• Les écoles (école maternelle)
En 1965, la construction des écoles primaires est terminée. Albert Denis eut à conduire celle de l’école maternelle votée par la précédente municipalité (1964). Elle ouvre ses portes au printemps 1967. Curieusement, les deux premières écoles primaires n’ont jamais fait l’objet d’une cérémonie d’inauguration. Ce sera fait — avec la maternelle — le 19 avril 1969. Parallèlement, un important programme de rénovation d’anciens locaux scolaires est engagé.
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• Le nouveau stade
En 1967, la JSA a besoin d’un nouveau terrain pour la pratique du football. L’ancien va faire l’objet d’un lotissement, car il appartient à un particulier et la commune ne peut pas l’acquérir faute de budget. La solution est l’achat d’une parcelle entre le parc et le chemin de Toucharé dont le paiement sera étalé dans le temps. La vendeuse est Germaine Baillot d’Étivaux (1895-1978), veuve d’Auguste Moinard (1878-1951), industriel rue Saint-Gilles.
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• La zone commerciale
Les premiers projets de création d’un centre commercial sont présentés en 1969. Les trois mandats d’Albert Denis ont été consacrés aux dossiers importants de l’aménagement de la ZAC de la Velaine, actuel Carrefour, puis celle des Fourneaux dont les terrains ont suscité beaucoup d’intérêt dès 1970. Il faut attendre 1984 pour le décollage des travaux.
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• Nouveau sens de circulation dans le bourg
En 1965, un nouveau plan de circulation des véhicules permet de fluidifier et de sécuriser le trafic dans le bourg. Il a peu changé depuis.
• La protection contre la mer
L’enrochement du littoral devient une nécessité. En 1974, la plage de la Platère est enrochée. Ces travaux seront confortés par la suite, ils permettent aux marais situés derrière de ne pas être inondés lors des grosses tempêtes.
• L’assainissement de la commune
Les années 1960 et 1970 ont été consacrées aux premiers chantiers d’assainissement d’Angoulins. Ils ont duré jusqu’aux années 1980.
• Travaux de bordures et de trottoirs
La voirie n’est pas en reste, les deux premiers mandats ont été l’occasion de commencer d’importants travaux d’installation de bordures et de trottoirs sur les axes principaux.
• Nouveau hangar pour les services techniques
En 1973, du côté de la gare commencent les travaux d’un nouveau hangar pour le matériel des services techniques. Aujourd’hui, le club de tennis occupe ce local.
Pour la petite histoire, en 1991, les services techniques s’installent dans les bâtiments de l’ancien garage (autos et 2 roues) tenu par Monsieur Dumez. Toute la jeunesse à mobylette (comme moi !) se rappelle la station de carburant « Glorex ». Tout a disparu aujourd’hui, une résidence récente (impasse des Vignes) a pris la place.
• Monument aux Morts
En octobre 1966, une souscription est lancée pour la construction d’un nouveau monument sur le parvis de la mairie. Des entreprises font des dons importants, l’entreprise de plastique SOGEMAP 1000 francs, celle de maçonnerie Pianazza 2000 francs (2900 euros de 2022).
Le bilan de la gestion d’Albert Denis
Un mandat de maire n’est pas un long fleuve tranquille. Les problèmes à résoudre sont nombreux, les dissensions apparaissent toujours et les amitiés du moment peuvent se transformer en haine. Seules les réalisations utiles à la collectivité comptent ! Reconnaissons la pertinence des projets structurants votés par les conseillers d’Albert Denis. Le village d’Angoulins d’aujourd’hui s’est dessiné à partir de 1965.
Après la mairie
La vie municipale s’arrête en mars 1983. La liste issue de la majorité sortante est battue aux élections. Le nouveau maire est Robert Cassagnes (1924-2021), militaire à la retraite, secrétaire depuis de nombreuses années de la JSA. Le renouvellement est marquant, la plupart des conseillers sont nouveaux.
Une brève biographie de Robert Cassagnes est disponible en suivant ce lien (dernière page du bulletin communal de décembre 2021).
Albert habite toujours dans sa maison de la rue de Bel Air. En vieillissant, il perd la vue. Victime d’une mauvaise chute avec pour conséquence un col du fémur cassé, il entre en maison de repos au château de Clavette. Âgé de 90 ans, il s’y éteint le 21 décembre 1999.
La veille de Noël, il est inhumé au cimetière d’Angoulins au côté de Marie.
Documentation
Jean Konrad-Kasso, le petit-fils d’Albert Denis
Comptes rendus des conseils municipaux, archives de la mairie d’Angoulins
Photos personnelles
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