La verrerie Leroy

La présence d’une verrerie est attestée par la photo ci-dessous et par le souvenir de nos anciens. Elle occupait le corps de garde du fortin napoléonien, qui lui-même faisait partie de la propriété nommée villa Montretout puis villa de la Motte Grenet. Cette petite entreprise a fonctionné très peu de temps, de 1908 à 1910.
Cet article est la troisième de la série des petites industries d’Angoulins. Il complète ma récente publication sur la villa Montretout, dont je vous ai raconté l’histoire, de sa construction jusqu’à aujourd’hui.

ℹ️ Lire aussi : la Motte Grenet et la villa Montretout

Vers 1908, la verrerie Leroy à La Motte Grenet. Notez bien A. Leroy, maître de verrerie. Source internet

Julie cède la Motte Grenet à Louis Leroy

En 1904, la propriété appartient à Julie Fradin de Linières. Elle en est l’héritière depuis le décès de son père Alban, survenu le 8 mars de cette année. L’ensemble est composé d’une villa de style balnéaire, de l’ancien corps de garde et de plusieurs parcelles dont certaines à l’extérieur du mur d’enceinte.

Trois ans plus tard, le 19 octobre 1907, chez Maître Chevalier, notaire à Angoulins, Julie vend le tout 10 000 francs à Louis Leroy. Il est fort probable qu’ils se connaissent, une relation ou amitié nouée à la capitale où Julie vit. La villa d’Angoulins n’est pour elle qu’une villégiature.

Louis Leroy est né au Bourget près de Paris en février 1873. C’est le fils de Louis dit Adrien Leroy (1847-1914?) et de Thérèse Olivier (1852-après 1904). En cette année 1907, il est directeur de contentieux à Paris. Il est remarié depuis 3 ans et son jeune garçon Edmond a deux ans.

Petite anecdote picturale
Louis se marie deux fois, en 1894 avec Léontine Mayer (1861) dont il divorcera en 1898. Puis, en 1904, avec Marie Mollet (1884). Leur fils aîné, Edmond (1905-1995) se mariera trois fois. Sa première épouse est Germaine Milhau (1904-1949), artiste peintre. Il l’est aussi, ils divorceront en 1929. En 1930, elle se remarie avec le peintre et sculpteur Jean Matisse (1899-1976), fils du célèbre peintre Henri Matisse.
Fermons la parenthèse et revenons à notre verrerie !

ℹ️ Pour aller plus loin : la généalogie de la famille Leroy sur Geneanet
Vers 1908, zoom sur la carte postale de la verrerie. Sur ce balcon, trois femmes et un enfant. Il est fort probable qu’il s’agisse de Julie Fradin de Linières (venue en voiture à cheval) et de Marie Mollet Leroy. Son jeune fils Edmond est-il dans les bras de sa nourrice ? Pourquoi pas.

Quand papa donne un coup de main au fiston

Rappelez-vous, sur la carte postale présentée en début d’article, on lit A. Leroy, maître de verrerie. A comme… Adrien, le prénom usuel de papa Louis, venu prêter main forte pour l’installation et la mise en route. Adrien est maître verrier. Depuis 1885, il dirige la grande verrerie de Montmirail au Plessis-Dorin dans le Loir-et-Cher. Son fils Louis n’a pas les compétences pour diriger la partie technique de ce petit atelier. Pour en assurer la gestion, oui, car son parcours professionnel est déjà fourni : dans les années 1890, il est clerc d’avoué puis avocat, représentant de commerce en 1906 et directeur de contentieux en 1907. Il sera agent d’affaires (1911), remisier en affaires financières (1918) et publiciste à 52 ans (1925). CV flatteur, un peu trop peut-être !
Louis a 90 ans lorsqu’il décède le 23 janvier 1964 à Bois-Arnault dans l’Eure.

Le remisier est un opérateur qui jouait un rôle important à la Bourse de Paris en recrutant une clientèle pour les agents de change qui lui concédaient en échange une remise d’un tiers sur les courtages facturés. Leur rôle était de tenter de placer des produits financiers dans toutes les catégories de la population, y compris les immigrés, d’où une proportion importante de remisiers italiens et allemands. Wikipédia

La verrerie de papa Leroy à Montmirail dans le Loir-et-Cher. Fondée au XIIème siècle, elle est située à proximité de la forêt de Montmirail dont le bois alimentera les fours pendant 700 ans. Elle ferme ses portes en août 1952. Elle est importante dans la région, à tel point que le hameau où elle est située se nomme La Verrerie. Source Internet

La production

Nous ignorons comment fonctionner la verrerie, ce qu’elle fabriquait, mais on peut imaginer la production (en partie) des contenants de la laiterie Eury, installée depuis 1905 dans le bourg d’Angoulins. Les verreries, très présentes sur le territoire national, assuraient principalement la fabrication des objets de la vie quotidienne et des besoins commerciaux et industriels divers. À Angoulins, nous ne sommes pas en présence d’une verrerie d’art.

ℹ️ Lire aussi : la laiterie Eury

L’activité semble très artisanale, loin des productions industrielles. Au centre, le jeune Maurice Poniard, grand-père de mon cousin Raymond Normand. Source internet

L’arrêt des activités et la saisie de 1911

En ce milieu d’année 1911, la verrerie ne produit plus depuis plusieurs mois. La population d’Angoulins a été recensée au premier trimestre : aucun habitant n’y travaille. Maurice Poniard est retourné aider son père à la ferme.

En 1907, l’acte de cession de Julie à Louis faisait état des nombreuses dettes contractées par Alban, son père. Sur les 7 200 francs dus, 3 000 n’ont toujours pas été réglés aux héritiers du prêteur, l’ancien notaire rochelais Benjamin Delaunay. La somme est exigible depuis… 1895 !
En juin 1911, les deux frères René et Louis Gautreau, petits enfants héritiers du couple Delaunay, engagent une procédure de saisie de la propriété, à la fois à l’encontre de Julie, débitrice par héritage et de Louis Leroy, propriétaire de la Motte Grenet, bien grévé d’une hypothèque renouvelée en 1901. Il n’y aura pas d’arrangement comme par le passé entre leur grand-mère Césarine Delaunay et le père de Julie.
La dette a 21 ans ! Cette saisie leur pendait au nez : c’est à mon avis la raison qui a poussé Louis et son père Adrien a arrêter la production.

Saisie de la Motte Grenet. L’Écho Rochelais du 21 juin 1911. Source AD17

La mise à prix est fixée à 3 000 francs, montant de la dette et somme dérisoire pour une telle propriété. La meilleure enchérisseuse est Marie Nunc De Thierry Villemont. Elle devient propriétaire pour 5 100 francs, frais compris, soit 17 000 euros. Nous connaissons déjà Marie par l’histoire de sa maison actuelle, la villa Oasis (château de la Sapinière). La Motte Grenet sera revendue en 1917 à Marie Joussemet veuve Frick.

ℹ️ Lire aussi : la villa Oasis


Encore une anecdote concernant Louis Leroy.
Ce personnage semble sortir de l’ordinaire, un peu sulfureux à mon avis.
En mai 1918, il fait l’objet d’un rapport de la Police Nationale.
Il vit à Neuilly-sur-Seine avec sa seconde épouse Marie Mollet et leur fils Edmond de 13 ans. Sa situation actuelle et son passé proche y sont décrits. Son courrier est épluché, il reçoit beaucoup de journaux financiers, mais peu de courriers, à des endroits autres que ses différentes adresses. Il est élégant, s’occupe de miséreux (sic) mais surtout d’affaires financières.
La guerre n’est pas terminée. Mobilisé, il est préposé à la surveillance des chargements des convois expédiés aux armées depuis la gare de l’Est. Les ordres lui parviennent par téléphone. Il fréquente des établissements vers Saint-Lazare, où se rencontrent des militaires et des femmes. Il a été l’amant de Madame Karnitzka, russe, maîtresse du colonel Alexis Ignatieff (attaché militaire russe à Paris). Cette femme dirige une agence de renseignements pour le compte du colonel. Elle a fait de nombreux voyages en Suisse et en Espagne. Elle fréquente une taverne place Clichy et rencontre de nombreux individus étrangers. Louis a rompu avec cette russe. Elle a un autre amant, un brigadier également mobilisé. Cette dame étant surveillée, Louis a fait aussi l’objet d’une filature, sans résultat.

Archives Nationales, fonds de Moscou
Ce fonds (années 1880 jusqu’à 1940) est constitué de centaines de milliers de fiches et de dizaines de milliers de dossiers individuels rédigés par la police et la sûreté nationale. Ces documents ont été saisis par les allemands lors de l’Occupation, avant d’être récupérés par les soviétiques en 1945, puis rendus à La France en 1994 et 2004.

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