Le domaine du Parc ou « Le Château » abrite depuis 1952 la mairie d’Angoulins. Depuis ce rachat, son histoire s’est quelque peu assagie. Bâti en 1850, acheté une première fois en 1895 par la commune, ce logis bourgeois va connaître de nombreux propriétaires pour finir dans un état proche de la ruine au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Réaménagé au fil des budgets successifs, complètement rénové en 2020, ce très beau château fait aujourd’hui la fierté des Angoulinois.
Un premier logis de la bourgeoisie rochelaise
Une grande propriété est déjà visible sur le cadastre napoléonien de 1811. Il appartient à la famille rochelaise des Seignette, médecins et apothicaires renommés. Arzac Seignette (1775-1825) a hérité du domaine de ses parents, Elie Louis (1742-1805) et Claire Doublet (1744-1799). Il s’y installe après le décès de son père, lui permettant d’administrer au plus près ses nombreuses possessions sur notre territoire.
Elie Louis Seignette fut le maire d’Angoulins de 1800 à 1805.
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Bien plus précis que cette vue du cadastre, Arzac a eu la bonne idée en 1813 de confier à un géomètre le relevé de toutes ses propriétés. Levé et dessinée par Monsieur Babrie d’après le même cadastre, il a été approuvé conforme par l’ingénieur vérificateur de l’administration.
Ce précieux document est archivé à la médiathèque Michel Crépeau de La Rochelle. Une copie numérique m’a été très aimablement donnée, avec une autorisation de publication.
Une petite précision, ce logis n’a rien à voir avec les seigneurs connus d’Angoulins ayant régné sur notre village avant l’abolition des privilèges de 1789.
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Elisa, la fille d’Arzac, hérite du logis
Au décès d’Arzac en juin 1825, sa fille Elisa (1809-1860) hérite du logis. Deux ans plus tard, elle épouse Frédéric Poutier, négociant, propriétaire et bourgeois de La Rochelle. En 1840, le couple achète la métairie d’Angoulins, dite des Veaux Verts. Malheureusement, Frédéric décède en 1842 à Ivry près de Paris. Il avait 44 ans. Quelques années plus tard, en avril 1849, elle se remarie avec son cousin Paul Monlun (1816-1872), de sept années son cadet.
En cadeau de mariage, un nouveau château est construit sur l’emplacement du premier logis des Seignette. C’est celui que nous connaissons aujourd’hui. Il reste de ce domaine la partie centrale, elle a traversé les décennies jusqu’à nous.
En 1830, imitant le père de sa future épouse, Paul Monlun avait établi un relevé de ses propriétés d’Angoulins.
« … Les bourgeois rochelais sont les principaux propriétaires fonciers d’Angoulins au XIXe siècle. Vers 1830, Monsieur Monlun, fait établir l’atlas de ses propriétés Angoulinoises où plus de 180 parcelles sont recensées ».
Source : « Le Patrimoine des communes de Charente-Maritime », volume 1, page 155
Elisa, marquise de La Verpillière
De cette union naît le 12 février 1851 une fille, prénommée également Elisa. Le 30 août 1871, cette jeune privilégiée épouse le marquis Théodore Leclerc de La Verpillière (voir note en bas de page). La cérémonie est exceptionnellement célébrée au château, car le père de la mariée est malade et ne peut pas se déplacer à la mairie. Les noces tout juste célébrées, le couple s’installe à Lagnieu dans l’Ain d’où est originaire cet officier de cavalerie. Neuf mois plus tard, en mai 1872, son père décède, et elle hérite du domaine.
La commune se porte acquéreuse
Vingt années se sont écoulées. Nous sommes le 5 avril 1893. Elisa signe la promesse de vente de la propriété à la commune. La vente est définitivement conclue le 18 octobre 1895 chez Maître Chevalier, notaire à Angoulins bien que la municipalité dispose des biens depuis mai 1893.
Le domaine se compose de l’habitation principale, de chais et dépendances, d’une écurie, d’une laiterie, de brûleries et d’une distillerie. S’y ajoute un grand parc au bout duquel la mère d’Elisa a construit sur un belvédère un ravissant pavillon. Vue imprenable sur la campagne et la mer ! Malheureusement, cette « tourelle », comme la nomment les Angoulinois, sera sinistrée pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle ne sera jamais reconstruite.
Le château, les dépendances et le parc occupent alors une surface de 64700 mètres carrés (6 ha 47 ares).
Le château se compose des pièces suivantes :
Source Claude Torchon
Au rez-de-chaussée, 5 appartements, 1 salle à manger et 1 office ;
1ᵉʳ étage : 4 chambres, 1 salle de billard ;
Une construction contiguë au midi et au nord ;
Écurie, chai, jardin avec serres, le tout de quatre hectares.
Vente pour 42 000 francs (environ 170 000 euros).
Un domaine source de revenus pour la commune
Le conseil municipal du maire Gustave Guichard (1848-1911) décide d’affermer le château pour en tirer des revenus. Un confortable hôtel est ouvert en juillet 1896, il est dirigé pendant une vingtaine d’années par sa sœur Adèle Guichard (1854-1916) et son époux Louis Penisson (1841-1918), les arrières grands-parents de ma cousine Martine (repère pour la famille !).
En 1905, les anciennes écuries sont transformées en une laiterie renommée par un pharmacien, Joseph François Eury (1873 Torigni-sur-Vire (Manche) – 1954 Gennevilliers). Elle produit différents laits de 1905 à 1913, année de sa faillite. Ce bâtiment (3 sur le plan ci-dessus) a été rasé au début des années 1960 pour laisser la place au parking actuel de la mairie.
L’aile droite du château (2 sur le plan) subira le même sort quelques années plus tard, car celle de gauche a brûlé en 1940.
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Une marque de Cognac de renommée mondiale
Une annexe au château (5 sur le plan) abritait un chai, une brûlerie et une distillerie d’alcools développés par Arzac Seignette, du temps du premier logis.
Au XXᵉ siècle, les alcools Seignette connaissent une renommée mondiale. La marque existe toujours, la preuve en image (à consommer avec modération !).
Une nouvelle école très attendue
Les besoins en locaux scolaires sont pressants, les deux écoles existantes saturent. C’est une des raisons de l’achat du château. Les annexes sont réaménagées et une nouvelle construction dans la continuité voit s’installer, à gauche, l’école des filles et, à droite, l’école des garçons. Et, au milieu, la nouvelle mairie, auparavant située rue Gambetta. Le genre de configuration que l’on retrouve souvent dans les villages.
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Le château quitte le domaine communal… pour y revenir !
En 1916, l’hôtel régi par la famille Penisson ferme ses portes. La commune décide de vendre le château aux enchères. Le 30 avril, Berthe Gillet (née en 1874 à Blois), veuve d’un entrepreneur de transport de La Rochelle, remporte l’adjudication.
En 1921, la veuve Gillet cède le château à une autre veuve, Camille Flandrin. Son mari, Henry Flandrin, né à Rochefort en 1859, est médecin militaire. Il est chevalier de la Légion d’honneur depuis 1898.
De nombreux médecins sont issus de la famille Flandrin. Jusqu’en 1998, une clinique portait ce nom à Rochefort
Fin 1924, le château change une nouvelle fois de propriétaire. En l’occurrence, il s’agit encore d’une femme, Marie Pontier (1865-1944), divorcée depuis 1889 de Louis Favet (né en 1857 à Carpentras). Elle se remarie en 1927 à la mairie d’Angoulins avec Joseph Limouzin (1854-1931). Marie et Joseph ont habité le château pendant 17 ans, jusqu’au décès de celle-ci en 1944.
Au décès de Marie, sa fille Rose, née de son premier mariage, est l’unique héritière du château. Née à Carpentras en 1886, elle a épousé Alphonse Boissière en 1917 à Avignon. Le 24 juillet 1952, Rose revend à la mairie le château et ses annexes. Le prix payé de 1 900 000 francs par la commune est compensée partiellement par l’indemnité reçue pour dommages de guerre de 850 000 francs. Après quelques aménagements, les services communaux s’y installent définitivement.
Par la suite, l’ancienne mairie abritera le syndicat d’initiative. Les classes des filles et des garçons seront partiellement transférées après la création des nouvelles écoles primaires en 1955 et 1960. Aujourd’hui ce sont des salles de réunion (la salle Europe et la salle Jean Monnet), servant aux grands évènements et aux associations. Une médiathèque complète l’ensemble.
L’école primaire des garçons Jean Moulin et celle des filles, Hélène Boucher, ont été construites sur des terrains autrefois appartenant au Domaine du Parc. Comme quoi, en 1895, la décision de l’acheter, puis, en 1952, de le racheter fut d’excellentes et opportunes décisions.
Avant / après…
Note : pour l’anecdote, le 7 juillet 1874, à la mairie de La Rochelle, le marquis et son beau-frère Hippolyte Barbedette (magistrat, député et sénateur de la Charente-Inférieure, 1827-1901) sont les témoins du mariage de mon arrière arrière-grand-père Jean François Léon Martineau (1845-1901), jardinier au château, et d’Elisabeth Henriette Félicité Martin (1850-1933). Comme dirait ma fille, « c’est kek’ chose ! »
Un évènement douloureux, l’ouragan de 1999
Cet évènement exceptionnel a marqué pour de très longues années le parc municipal, ancien parc du domaine de la famille Seignette.
Documentation
Le Patrimoine des Communes de Charente-Maritime, Flohic éditions
Mémoire en Images, Angoulins, Denis Briand, éditions Alan Sutton
Châteaux, manoirs et logis de La Rochelle et du pays Rochelais, 2023, Jean-Louis Mahé, La Geste éditeurs
Mairie d’Angoulins
Médiathèque Michel Crépeau
Archives Départementales 17
Photos personnelles