La famille Mossé


Avant-propos

La source principale de cet article est un livre écrit par André-Lilian Mossé et sa sœur Réjane, les enfants de Christian et Francine Mossé, petits enfants d’Adolphe et Jeanne.
Il a pour titre « C’est leur histoire : 1939-1943 ».
Je conseille la lecture de ce livre, d’une belle écriture, riche en anecdotes, mais extrêmement émouvant. Il raconte la vie de cette grande famille éprouvée par la barbarie nazie en 1943.
Ce témoignage est disponible en librairie et sur les plateformes légales de téléchargemen
t.
Réjane m’autorise à utiliser les photos du livre. Un grand merci à elle !


Le nom de famille Mossé est intimement lié à l’histoire d’Angoulins. Celle-ci commence au moment de la Grande Guerre 14-18 lorsque Adolphe Mossé et son épouse Jeanne Mossé décident de quitter la région parisienne pour se réfugier chez une cousine, du côté de Tasdon, quartier de La Rochelle. Leurs huit enfants les accompagnent : Myriam, Jules, Georgette, Charles, Gustave, Alfred, Francine et Clément. L’aînée est âgée de 22 ans, le plus jeune n’a qu’un an. Avant de venir, Adolphe, prudent, a vidé les coffres de son entreprise. Il pense revenir après la guerre, mais il ignore encore que celle-ci va disparaître sous les bombardements.

Adolphe et son épouse Jeanne, villa des Platanes à Angoulins, 1936. Collection Réjane Mossé

Origine de la famille

Les aïeux de cette grande famille juive ont été expulsés d’Espagne en 1492 par les fervents catholiques Isabelle de Castille et Fernand d’Aragon. À cette époque, ils sont accueillis par le Roi de France et la plupart s’installent dans le sud de la France, notamment en Avignon et dans le Comtat Venaissin. En 1790, les juifs espagnols installés dans ces régions sont reconnus comme français avec tous les droits en découlant. Ils sont réputés pour leur qualité de commerçants.
Adolphe est né à Orange le 19 septembre 1866 et Jeanne à Marseille le 1ᵉʳ janvier 1871. Ils se marient à Nîmes le 9 octobre 1890. Leurs cinq premiers enfants naissent dans cette ville, les trois derniers à Nogent-sur-Marne près de Paris où le couple s’est installé vers 1902.

Extrait de l’acte de mariage des cousins germains Adolphe et Jeanne. Source AD94

Pour faciliter la lecture de cet article, Adolphe et son épouse Jeanne, leurs huit enfants et les conjoints respectifs :

Adolphe Mardochée Mossé 1866-1957Mariés le
9 octobre 1890
Désirée Sara Jeanne Mossé
1871-1937
Myriam 1892-194330 novembre 1908Benjamin Mossé 1888-1970
Jules 1894-194319 juillet 1919Fabienne Mossé 1892-1943
Georgette 1895-198411 octobre 1919Félix Nadeau 1892-1952
Charles 1898-196912 janvier 1921Marthe Nadeau 1893-1966
Gustave 1901-19767 juin 1926Louise Duverger 1900-1995
puis Gaby Moreau 1896-1987
Alfred 1903-19616 juin 1925Denise Guillet 1905-2000
Francine 1906-194321 juillet 1924Christian Mossé 1902-1943
Clément 1913-198228 décembre 1935Clémentine Mossé 1913-2012
Une tradition familiale, les unions sont souvent célébrées entre cousins. Seuls les prénoms usuels ont été indiqués pour les enfants.

ℹ️ Pour aller plus loin, la généalogie de la famille Mossé

L’installation à Angoulins

La guerre terminée, le retour vers Paris n’est plus possible. Adolphe décide alors de s’installer définitivement dans la région avec l’espoir de recréer une entreprise. Il choisit Angoulins.
En 1921, son fils Gustave et lui sont voyageurs de commerce pour le compte de la société rochelaise « Moruchon & Dumet », fabricants d’huiles et lubrifiants pour moteurs. En 1926, Alfred et Christian, le mari de Francine, sont aussi représentants de la même société. Les Mossé sont reconnus depuis longtemps pour leur qualité d’entrepreneurs et de commerçants.
Le temps de créer arrive enfin. Adolphe fonde les établissements Mossé-Doisy (nom de jeune fille de sa mère), au sein desquels il va créer deux entreprises.

ℹ️ Lire aussi : les établissements Mossé Doisy

Le 8 septembre 1925, Adolphe et Jeanne rachètent à leur fils Jules et son épouse Fabienne une grande maison située en face du château, avenue de la Gare (avenue du Commandant Lisiack) : la villa « Les Platanes ». Le même jour, il achète à son fils Gustave une maison basse avec jardin, écurie avec grenier, nommée « Pitchounette ».
Un peu plus loin, en face du parc, sur la même avenue, son fils Gustave édifiera la villa « Les Vacarmes » (aujourd’hui La Closerie).

Situation des Platanes, Pitchounette et de l’entreprise Pinctoria. Source Google Maps

Dans ce nouvel ensemble de biens, l’écurie permet d’installer la première entreprise d’Adolphe : Pinctoria. Celle-ci est spécialisée dans la fabrication de peinture à l’eau. Plus tard, l’usine, qui a acquis une grande renommée, est transférée dans un bâtiment près de la gare pour la tranquillité des voisins ! Une anecdote raconte que, lors d’une tempête, les bidons vides restés dehors se sont retrouvés du côté des fours à chaux des Fourneaux, à plus de 600 mètres de distance ! D’autres marques voient le jour pour élargir la gamme : Pinctorex et Pinctolux.

L’entrée de l’ancienne entreprise Pinctoria. Photo personnelle

Le 11 juillet 1928, Adolphe et Jeanne deviennent propriétaires d’une belle maison au 10 de la rue Gambetta et d’un grand bâtiment au 12. C’est ici que naît Rotatrix-Oil, entreprise spécialisée dans la vente d’huiles et lubrifiants pour tout type de moteurs et de crésyl (puissant désinfectant ménager). Les produits arrivent des États-Unis et sont détaillés en bidon.

Les numéros 10 et 12 (ancienne Coop) de la rue Gambetta. Photo personnelle
Un vieux bidon d’huile Rotatrix-Oil. Source internet
Un courrier de l’entreprise Rotatrix-Oil. 27 avril 1943. Collection Réjane Mossé

L’occupation allemande, les arrestations

De santé fragile, Jeanne décède en 1937 à l’âge de 66 ans. Elle est inhumée au cimetière d’Angoulins. Elle ne subira pas et ne sera pas témoin des atrocités nazies qui vont s’abattre sur sa famille.

En 1940, Francine et Christian, les parents d’André-Lilian et Réjane, habitent à Paris, XIIe arrondissement. Christian est affecté à la garde de prisonnier espagnol sur l’île de Ré, mais il rentre à Angoulins pour raison de santé chez son jeune frère Clément, médecin à La Rochelle. Les allemands occupent la région. Pour leur sécurité, les deux familles décident de s’installer en zone libre à Marseille où ils sont accueillis par des oncles et des tantes. Le 25 juin 1940, elles passent in extrémis la ligne de démarcation en cours d’installation. Une nouvelle vie commence, nouveau travail pour les parents, nouvelle école pour André-Lilian.

En novembre 1942, les allemands et les italiens envahissent la zone libre. La famille trouve refuge à Carpentras, ils échappent à une rafle grâce à l’aide de la gendarmerie locale.
Toute la France est désormais occupée. La ligne de démarcation n’existe plus.
Début mars 1943, Francine décide de revenir à Angoulins, situé en zone côtière, pour voir ses parents.

La zone côtière interdite, mise en place en a, est une bande de terre de 20 à 30 km de large, partant de Dunkerque jusqu’à Hendaye. Cette zone est créée pour faciliter la défense côtière par la construction du mur de l’Atlantique. Une réglementation précise est publiée le 20 octobre 1941. Les laissez-passer pour entrer dans la zone littorale ne sont délivrés aux non-résidents qu’en cas de décès, de maladie grave, de mariage ou de la naissance d’un proche. Les contrevenants sont passibles d’emprisonnement, de la peine de mort dans les cas les plus graves. En 1942, le franchissement de cette frontière aurait été plus difficile que celui de la ligne de démarcation.

Source Wikipédia

L’arrivée de Francine va éveiller chez les allemands des soupçons d’espionnage. Ceux-ci occupent les locaux de Pinctoria et de l’usine Rotatrix, rue Gambetta. Jules et Fabienne habitent la grande maison d’à côté. Le téléphone de l’état-major est relié à celui de l’appartement. Pour mettre fin à cette promiscuité qu’ils pensent être néfastes, les allemands décident d’agir.

Le 7 mars, Jules et Fabienne sont arrêtés par la police militaire allemande, la Feldgendarmerie. Le 8 et 9, Francine et Charles subissent le même sort. Les allemands exercent alors un chantage : Adolphe ne sera pas inquiété si ses enfants se livrent à la police. Le 10 mars, Myriam se rend, le 11, Gustave fait de même. Le 12, Georgette est arrêtée à son travail, à la Poste de La Rochelle. Le 15, Alfred se rend et rejoint la fratrie à la prison de Lafond à La Rochelle, siège de la Gestapo.

Le 18, les huit membres de la famille sont transférés à Poitiers, au camp d’internement de la route de Limoges, puis le 28, au sinistre camp de Drancy, près de Paris. Fin avril, Adolphe s’échappe d’Angoulins pour rejoindre son plus jeune fils, Clément, médecin du maquis en Provence.

Début juin, Francine est hospitalisée à l’hôpital Rothschild (Paris XIIᵉ). Elle souffre d’une occlusion intestinale détectée à Poitiers. Nina (Estelle, Nina Millaud, 1907-1956), une cousine germaine de son époux Christian, s’occupe d’elle, cherche à la faire évader, mais n’y parvient pas, car une codétenue s’est évadée. En représailles, les allemands transfèrent toutes les malades à Drancy.

Le 8 juillet, à Marseille, Christian, l’époux de Francine, et son cousin Adolphe sont à leur tour arrêtés par la Gestapo. Au même moment, parce qu’ils sont mariés avec des « aryennes », les trois frères, Charles, Gustave et Alfred, sont déportés au camp de travail de l’île anglo-saxonne d’Aurigny. Des prêtres aideront à leur évasion en 1944. Georgette, également mariée à un aryen, travaille au centre de tri du mobilier spolié à Paris jusqu’à la fin de la guerre.

La déportation et la mort

Plus rien ne peut arrêter la machine à tuer des nazis.
Le 18 juillet 1943, Jules et son épouse Fabienne prennent le convoi n° 57 au départ de Drancy pour le camp d’extermination n° 2 d’Auschwitz, Birkenau où ils sont gazés dès leur arrivée.
Le 31 juillet, Myriam prend le convoi n° 58. Elle meurt le 5 août.
Le 2 septembre, Christian est déporté par le convoi n° 59. Il décède le 9.
Le 7 octobre, le cousin marseillais de Christian, Adolphe et son épouse Séphora sont déportés par le convoi n° 60 et ne reviendront pas.
Le 20 novembre, Francine est déportée par le convoi n° 62. Elle meurt le 27.

Francine et Christian. Collection Réjane Mossé

Après la guerre

Adolphe revient à Angoulins où il décède le 13 mars 1953. Il est inhumé dans le caveau familial au cimetière.
Réjane, la fille de Francine et Christian, est élevée par sa tante Georgette Nadeau à La Rochelle. Elle fera une carrière d’institutrice. Elle habite aujourd’hui dans le Var, au bord d’une autre mer…
André-Lilian grandit à Marseille et Paris. Ainsi, il devient jockey amateur et court sur les hippodromes du sud-est. Industriel, il a fondé l’entreprise de création des poupées Gyptis et Jockey. Il décède en 2013 à Bastia.
Ils ont tous les deux des enfants et petits enfants.

André-Lilian (1932-2013) et sa sœur Réjane, née en 1940. Collection Réjane Mossé

Le souvenir à Angoulins

Le monument aux Morts porte le souvenir de la famille Mossé. Depuis 1970, une rue leur est dédiée au quartier Toucharé, la rue des frères Mossé. Bien plus que des frères, il s’agit de cinq membres d’une famille unie et heureuse.

Jules Mossé était un colombophile de renom et reconnu dans les années 1930. Il était vice-président de la Fédération éponyme de La Charente-Inférieure et participait à de nombreux concours.

Le monument aux Morts d’Angoulins.
Myriam, Christian, Fabienne, Francine et Jules sont honorés du titre de
« Mort pour la France en déportation ».
Photo personnelle
Le conseil municipal du 2 décembre 1970, sous le mandat d’Albert DENIS, maire communiste, a adopté cette dénomination d’une rue du quartier de Toucharé.
Une petite erreur, il manque l’accent du E de Mossé. Photo personnelle
La sépulture d’Aldophe et Jeanne Mossé au cimetière d’Angoulins. Photo personnelle

Rendons hommage aussi à Omer et Elise Patris, couple marseillais qui a protégé du mieux qu’il pouvait cette famille. Le 29 février 2004, l’État d’Israël leur a attribué le titre de Justes parmi les Nations.

Élise et Omer Patris. Collection Réjane Mossé

Ainsi, je ressens une grande émotion à finir la rédaction de cet article. Aujourd’hui, dimanche 8 mai 2022, j’ai assisté à la cérémonie en l’honneur des Morts de cette terrible guerre. Les noms et prénoms de cette famille ont été lus à haute voix et, à travers cette publication, se souvenir quel a été le destin et la souffrance endurée par eux cinq est pour moi un grand honneur.


Documentation
André-Lilian et Réjane Mossé, C’est leur Histoire 1939-1943, collection Témoignages de la Shoah, Le Manuscrit
Google Maps, Internet, photos personnelles