Préambule
La visite de la chapelle Sainte-Radegonde me titillait depuis longtemps. Situé sur une propriété privée et peu visible de l’espace public, cet imposant édifice du XIIᵉ siècle, exceptionnel d’un point de vue patrimonial, méritait un article sur ce blog. Lundi 3 octobre, je me permets de sonner à la porte et je suis accueilli très gentiment par les propriétaires, François et Hélène Pigeonnier. Mon intérêt pour l’histoire d’Angoulins a rendu possible cette visite, peut-être aussi parce que nous sommes cousins au cinquième degré (souche Marmet / Rouché). Deux précisions pour rappeler que cette chapelle, non classée aux Monuments Historiques, ne se visite pas.
Un grand merci à eux pour l’accueil et ce voyage dans le passé !
Situation et présentation
La chapelle est située à l’est de la petite rue Gâte Bourse et au nord de la rue François Personnat, aujourd’hui dans un secteur qui s’est urbanisé durant le XXᵉ siècle.
Avant cette urbanisation, la chapelle se sentait un peu seule au cœur d’une vaste propriété détenue par la famille Personnat avant qu’elle ne rentre dans le patrimoine de la famille Pigeonnier dans la décennie 1910.
Comme on peut le constater, la physionomie de la chapelle a changé entre ces deux extraits du cadastre. Aujourd’hui, nous la voyons telle qu’elle était en 1811. Après cette date, deux étables annexes ont été construites au nord-ouest et au sud-est pour faire face au développement de l’exploitation agricole (viticulture, agriculture et élevage). Cette vocation de hangar agricole est — d’après François Pigeonnier — ancienne, vraisemblablement après la Révolution (voir ci-dessous).
Lors de divers travaux de terrassement, des tombes et quelques restes de squelettes ont été découverts, prouvant l’existence d’un ancien cimetière au pied de la chapelle.
Dans les années 1950, l’historien local Angoulinois Jean Joguet s’intéresse de près à la chapelle et écrit un article dans « L’Écho des Sirènes » accompagné d’un croquis de sa main. Il écrit que les annexes construites sur les côtés sont des étables, car à cette époque, l’exploitation possède un troupeau de vaches laitières.
En 1958, les étables sont complétées par la construction d’un grand hangar et d’un silo au nord-est. En 1962, l’incendie d’une meule de foin a failli détruire la chapelle.
Les étables (en mauvais état), le hangar et le silo finiront par être détruits en 1994 parce qu’ils n’ont plus d’utilités agricoles. Ce grand ménage permet à la chapelle de retrouver son cachet d’autrefois.
Quelques photos d’aujourd’hui
Histoire de la chapelle Sainte-Radegonde
La chapelle est le seul témoin restant d’un ancien prieuré dépendant de la Maison Hospitalière Saint-Gilles de Surgères (d’où le nom de la rue Saint-Gilles toute proche).
Le prieuré et l’aumônerie Saint-Gilles de Surgères
Source Jean Joguet / Wikipédia / internet
Ce complexe monastique est antérieur à la construction de l’église Notre-Dame de Surgères en 1080. Édifié vers 1009 par le comte du Poitou, Guillaume V, l’ensemble était composé d’une église dédiée au même Saint, d’un prieuré dépendant de l’abbaye de Maillezais (Vendée) et d’une importante aumônerie. Cette dernière était judicieusement placée au bord de la Via Turonensis (route de Paris vers l’Espagne) menant à Saint-Jacques-de-Compostelle, amenant ainsi les moines à privilégier l’hospitalité et les soins apportés aux voyageurs et aux pèlerins.
Surgères est aussi sur le chemin d’un autre pèlerinage, Saint-Jean-d’Angély et son abbaye royale fondée en 817 par Pépin d’Aquitaine. Elle abrite la tête de Saint-Jean-Baptiste, qui, rappelons-le, a débarqué sur la plage de Saint-Jean-des-Sables à Angoulins.
L’aumônerie Saint-Gilles de Surgères est au Moyen Âge l’une des plus importantes d’Aquitaine.
ℹ️ Lire aussi : Saint-Jean-des-Sables
Lors du XIIᵉ siècle, le duc d’Aquitaine donne les moyens au prieuré de Saint-Gilles de fonder une maison hospitalière annexe à Angoulins. Le village est à cette époque prospère, les marais salants et la vigne l’enrichissent. Le choix de construire un prieuré pour accueillir les voyageurs entre la puissante baronnie de Châtelaillon et La Rochelle n’est pas anodin, surtout lorsqu’il borde le grand chemin saunier qui mène à… Surgères.
D’après Jean Joguet, les origines du prieuré sont inconnues. À la fin du XIIᵉ siècle, une chapelle est attestée. En 1246, dans un inventaire du Grand Fief d’Aunis, le « grand feu de Sainte-Raagon (Radegonde) » paie une redevance (cens) au frère de Saint-Louis, Alphonse, comte de Poitiers. Et, qui dit redevance implique que le prieuré possède des biens et dispose de revenus qui lui permettent d’assurer sa mission d’hospitalité jusqu’à la Guerre de Cent Ans (1337-1453).
Le prieuré semble ne pas avoir subi de dommage après cette guerre, mais il ne remplit plus son rôle d’hospitalité. Ses biens — marais salants, terres, vignes et maisons — sont administrés par deux chanoines qui, parfois, aident au ministère de l’église Saint-Pierre d’Angoulins.
Les biens précédemment cités apportent une certaine aisance au prieuré. Les chanoines louent des terres, des maisons aux habitants du village. Ils finissent par ne plus habiter au prieuré et en 1590, sa gestion échoue à un laïc, François de Benac, seigneur de Clairac et du « Gros Sainte-Radegonde d’Angoulins ». Celui-ci loue l’ensemble à un bourgeois de La Rochelle, Jehan Cartault. Sainte-Radegonde est désormais une seigneurie.
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Cette décadence touche aussi la maison mère de Surgères, qui, en 1600, est placée sous l’autorité de l’ordre des Minimes de Tours. Reprise en main, Sainte Radegonde reprend vie, tout est bien dirigé, mais il n’existe plus aucun service spirituel dans la chapelle depuis le XVIIᵉ siècle et la désertion des derniers religieux.
En 1796, la chapelle est vendue comme bien national à Jean Laurent, propriétaire des terres alentour. Il semblerait que la vocation de hangar commence à ce moment-là. Les deux annexes sont construites. Au-dessus de la façade principale, il y avait une cloche dans un petit campanile. Aujourd’hui, tout a disparu.
Vers 1885, à l’initiative des sœurs Personnat propriétaires des terres autour de la chapelle et mécènes de l’église du village, des offices sont de nouveau célébrés. Celle du bourg, Saint-Pierre-ès-Liens, connaît alors de grands travaux de transformation. Une mésentente avec le curé du bourg expliquerait aussi le dépaysement des messes !
La propriété abritait à cette époque quelques bonnes sœurs. On peut remarquer aujourd’hui une belle croix en pierre de taille au-dessus d’une ancienne ouverture.
Enfin, après le décès de Léopoldine Personnat en 1911, la propriété est rachetée par Edouard Fernand Pigeonnier (1878-1931), l’arrière-grand-père de François.
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Une curiosité, l’hippodrome
Petite digression au sujet principal ! Édouard et son fils Paul Bernard (1899-1978) sont grands amateurs de chevaux de course. Dans les années 1930, ce dernier aménage entre le village et la nationale 137 un hippodrome d’entraînement dont la boucle approchait le kilomètre. Il possédait des chevaux talentueux, vainqueurs de courses régionales.
Documentation
François et Hélène Pigeonnier
Article de Jean Joguet : la chapelle Sainte-Radegonde, été 1954, Écho des Sirènes
Wikipédia, Google Maps