La Chaume


L’accès le plus proche à l’océan pour les habitants du bourg est la Chaume. Cette petite plage se trouve au bout d’un cul-de-sac, après la jonction entre la rue de la Mer et la rue des Coquillages. Depuis la mise en service de la ligne de chemins de fer en 1867, on passe sous un petit pont dont l’écho fait la joie des enfants, petits et grands. Les visiteurs affectionnent son belvédère. Il permet d’embrasser une belle vue sur l’océan, entre la pointe de Fouras, l’île d’Aix, le fort Boyard et l’île d’Oléron. Et, ce qui ne gâte rien, le regard permet d’apprécier le joli port du Loiron.

Automne 2024, le pas de la Chaume. Photo personnelle

En préambule, j’adresse mes vifs remerciements à Jean-Pierre Target, tout proche voisin de cette petite plage. Nous avons partagé un long moment au cours duquel il m’a dévoilé ses connaissances d’Angoulins et de la Chaume en particulier.

Pour la précision du propos, cet accès à l’océan s’appelle le pas de la Chaume. Ce terme courant, mais peu usité, est un raccourci du mot passage. Deux exemples, la rue du Pas du Minage de La Rochelle, rue menant à l’hôtel dudit minage, et le pas-de-porte, somme à payer par un locataire pour « passer » la porte de son nouveau commerce.


Situation de la Chaume

La Chaume est aujourd’hui cette bande de terre à l’ouest de la ligne de chemin de fer, coincée entre l’océan Atlantique et le centre bourg.

1965. Le quartier de la Chaume. Le pas se trouve en bas du champ de… chaume. Détail d’une carte postale, source internet
La Chaume aujourd’hui. Image IGN Géoportail

D’après Jean-Pierre, les limites du quartier sont celles-ci.

Les limites du quartier de la Chaume. Image IGN

La Chaume est bien plus qu’un accès à la mer. À l’ouest, elle borde le quartier de La Manon dont les premières maisons sont apparues dans les années 1920. Au nord, la rue du Chay, jusqu’à la voie ferrée, en est la frontière. Puis, la ligne du train forme sa limite au levant. Enfin, au sud, elle se termine là où le rocher du platin forme un amas, à côté de ce qui était autrefois un passage venant du chemin des Genêts, le pas de Gilbert.

L’observation attentive du cadastre de 1948 désigne la Chaume comme la partie nord, au-dessus de la cale, jusqu’à la rue du Chay. Le précédent, de 1867, n’en fait pas mention : cette partie nord est comprise dans le quartier des « Coudrans ». Le sud, quant à lui, fait partie du quartier des « Grandes maisons ». Il faut en conclure qu’à l’origine, la Chaume désigne uniquement le passage vers la mer.

J’en veux pour preuve cet acte notarié de 1891, la vente d’un terrain à Pierre Lacroix (j’en parlerai après). Maître Chevalier situe le bien de cette façon : « un terrain, situé au fief des Coudrans, touchant à la falaise, non loin du port et du pas de la Chaume ».

Le pas de Gilbert

Le nom de ce passage m’était inconnu jusqu’à ma rencontre avec Jean-Pierre. Une nouvelle observation des cartes anciennes montre un « routin », petit sentier dans la continuité actuelle de la rue de la Marine, ruelle reliant la rue de la Mer à celle de Bel Air.

Cadastre de 1811. Le sentier des douaniers, les pas de Gilbert et de la Chaume sont bien identifiés. Image AD17

Sur cette carte plus récente de l’État major (dessinée entre 1820 et 1866), le routin menant à la plage semble être l’unique accès des villageois. L’accès à la Chaume a été oublié. On y voit encore le sentier côtier menant à La Manon, à gauche sur la carte.

Carte de l’Etat major, 1820-1866. Le sentier du pas de Gilbert est aussi large que les rues du bourg. Image IGN Géoportail

Ce sentier des douaniers est encore visible aujourd’hui derrière les arbustes du belvédère de la Chaume. Enfin, ce qu’il en reste, car quelques mètres plus loin, il est impossible de continuer.

Cette sente, entre le belvédère et ce mur est l’amorce de l’ancien chemin douanier. Photo personnelle

Une petite anecdote
Ce chemin douanier faisait le lien entre la Chaume et le Chay par la côte, via la Manon. En 1922, Louis Carteau, courtier en coquillages, se plaint à la mairie de barrages sur ce chemin. Les propriétaires, Constant Cosset (la grande parcelle en chaume évoquée plus haut, derrière le mur de cette photo) et Jean Lizet (la maison suivante, j’en parlerai après), empêchent les piétons de passer, car par l’érosion, ils doivent marcher sur leurs propriétés. En 1923, le conseil municipal décide de louer les parties de parcelles faisant obstacle.
Cette situation ne durera pas. L’urbanisation croissante de la côte aura raison de ce chemin, ce qui est bien dommage.

Une dernière image sur le pas de Gilbert, celle extraite du cadastre de 1948, montre encore au crayon ce passage, toujours dans la continuité de la rue de la Marine. L’utilisation du crayon est un rappel du cadastre précédent : il souligne les éléments sur le point de disparaître par l’effet des changements parcellaires et de l’urbanisation croissante.

Cadastre de 1948. Source AD17

Le nom de ce pas pourrait être lié à une importante famille d’Angoulins au XIXᵉ siècle. L’un de ses plus illustres représentants, Jacques Gilbert, est né en 1817 aux Grandes Maisons, le quartier autour de la rue de Bel Air, à deux pas dudit passage. Cet agriculteur, propriétaire, a été maire d’Angoulins de 1871 à 1883.

L’origine du nom « la Chaume »

À l’occasion de la dernière Journée du patrimoine en septembre, j’avais accompagné certains d’entre vous lors d’une déambulation au départ de la Chaume.
J’avais évoqué son étymologie par l’existence toute proche d’une grande terre en culture de céréales. Dans ce contexte agricole, la « chaume » fait référence à la portion de la tige qui reste sur pied après la récolte.

Cette parcelle est référencée A409 sur le cadastre de 1948. Le nom de la Chaume y est d’ailleurs écrit, car on l’a vu un peu plus haut, ce quartier se situe communément à cet endroit.

Cadastre de 1948. Section A4, parcelle A409. Image AD17
La parcelle de chaume A409 en 1965. Elle est la propriété de la famille Cosset / Rey de Haut depuis 1921. Détail de la carte en début d’article

Cette interprétation semble inexacte, puisque, d’après Jean-Pierre, la vigne était dominante sur cette partie du littoral, jusqu’à la pointe du Chay, avant et même après la crise du phylloxéra (1872-1900).

ℹ️ Lire aussi : la pointe du Chay

Il prend pour exemple la ville des Sables d’Olonne, dont un quartier historique, lié à des activités maritimes ou de pêche, s’appelle « La Chaume ». Ce qui, vous allez le voir, est le cas ici.

Un quartier de Périgny porte aussi le nom de « La Chaume ». Renseignements pris, l’étymologie fait référence ici à l’activité des moissons d’autrefois.

À Angoulins, l’explication se trouve ailleurs, du côté des cabanes de pêcheurs. Il en existait plusieurs à la Chaume. Leurs toits sont faits de plantes de type cypéracée, comme le papyrus ou le roseau. Dans notre contrée, elles sont appelées « rouche ». Une carte postale du port du Loiron illustre bien ce genre de cabane.

Vers 1910, une cabane de pêcheur au toit de rouches, port du Loiron. Collection privée
Une autre cabane en rouche au port du Loiron. Collection Patrick Rey de Haut

Nos plus anciens ont connu des cabanes à la Chaume. Construites à deux emplacements, elles étaient à moitié enterrées dans le sol pour les préserver du vent. Bien avant la création du port du Loiron. Avant celle-ci, la Chaume était le port d’Angoulins, appelé port Vinaigre. Il est donc logique d’y trouver des cabanes.

ℹ️ Lire aussi : le port du Loiron

À Angoulins, une importante famille portait le patronyme de Rouché, avec des variantes comme Rouchié, Rouchier ou Roucher. Mon arrière-grand-mère maternelle est Louise Rouché (1880-1959), elle a vécu au 7 rue Carnot. Ce nom, très présent dans le Poitou, a un lien avec le métier de rouchier, cultivateur de rouche pour les toits de maison.

Seul le cadastre de 1811 indique l’ancien port Vinaigre, entre le pas de la Chaume et le pas de Gilbert. Image AD17

Le port Vinaigre rappelle le passé viticole d’Angoulins. D’ici partait vers des contrées lointaines du vin et du sel, faisant la fortune des grands propriétaires. La place en haut de la rue Gambetta, à l’angle de la rue de la Mer, porte le nom de canton du Vinaigre.

Cette carte de 1677, ancienne, mais d’une certaine précision, indique la pointe du Vinaigre. Elle correspond aujourd’hui à la pointe du port du Loiron. Toutefois, le port Vinaigre est bien du côté de la Chaume. Les pêcheurs iront prendre possession du Loiron vers 1875, car l’anse leur procurera une bien meilleure protection.

Carte de Favolière de 1677. La pointe de Vinègre (Vinaigre) correspond à la pointe du Loiron. Remarquer les 2 moulins près du bourg, celui du pont de la Pierre et du moulin de la Pierre. Image internet

La nécropole de la Chaume

Celle-ci fait partie d’un ensemble bien plus vaste découvert en 1875 par l’abbé Mongis, curé de la paroisse d’Angoulins. J’en avais déjà parlé dans un précédent article sur les cimetières.

ℹ️ Lire aussi : les cimetières

Sur le secteur de la Chaume, des sarcophages en caissons de pierres levées d’époque mérovingienne, voire moyenâgeuse, ont été découverts. Ils étaient positionnés en différents lieux, au nord du pas, sous le pont ferroviaire et à la jonction entre les rues de la Mer et des Coquillages.

Plus récemment, dans les années 1960, la classe de fin d’étude, sous l’autorité de son instituteur Monsieur Ferrière, découvre un squelette d’enfant. Un peu plus tard, en 1985, d’autres fouilles au niveau du chemin du pas mettent au jour un autre squelette. Puis, en 2001, un membre de la société de géographie de Rochefort, découvre un autre squelette, féminin, dans la falaise.

Les vestiges du siège de La Rochelle

Jean-Pierre se souvient d’une information reçue, à la fin des années 1960, de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Poitiers. Vers 1865, lorsque les ouvriers ont creusé le chemin pour construire le pont ferroviaire, un ossuaire datant du siège de La Rochelle (1627-1628) a été découvert. Il s’y trouvait des ossements humains et de chevaux, des étriers et des morceaux de ceinturons en cuir avec encore leurs boucles. Lui-même a trouvé des vestiges de cette époque en faisant des travaux sur la partie haute de son terrain qui domine le chemin. Malheureusement, ces objets n’ont pas été conservés.

J’ai contacté la DRAC de Poitiers pour en savoir plus sur ces fouilles, malheureusement sans réponse à ce jour. Je vous préviendrai si j’avais de nouvelles informations.

Le belvédère de la Chaume

Contrairement à une légende entendue, cette plateforme au-dessus des flots n’abrite pas de blockhaus de la Seconde Guerre mondiale.

ℹ️ Lire aussi : le mur de l’Atlantique

D’après Jean-Pierre, il y avait ici une petite habitation de villégiature. Ses propriétaires n’ont jamais eu l’autorisation d’y construire une maison. Aujourd’hui, ce balcon de vacances a complètement disparu. Sur le cadastre de 1948, la parcelle est marquée « en friche », signe d’une occupation passée.

Du belvédère, on pouvait apercevoir les anciens réservoirs à huîtres. Les forces de la nature sont telles qu’il est difficile de les reconnaître aujourd’hui.

Sur cette vue de 1950, les réservoirs à huîtres sont encore bien visibles. Image IGN Remonter le Temps

Sur cette image, vous pouvez apercevoir une maison bien seule sur un minuscule chemin qui deviendra bientôt celui des Genêts.

Il s’agit de la maison appelée « La Boulite ». Construite avant 1937, son nom vient du verbe régional bouliter, qui signifie observer furtivement, à la dérobée. En regardant la façade, on aperçoit derrière une vitre une petite fenêtre permettant cela.

La maison de la Boulite, la toute première du Chemin des Genêts. Photo personnelle

Je dois cette anecdote à un couple charmant de La Manon. Qu’ils en soient ici remerciés, ils se reconnaîtront.

Depuis 2012, le Chemin des Genêts est sur le parcours de la voie cyclable de la Vélodyssée. Une rampe d’accès et un escalier permettent la communication entre le pas et le chemin. Ces aménagements ont masqué une grosse buse en béton débouchant sur la plage. Les enfants aimaient s’y amuser.

Les 1300 km de la Vélodyssée passent par la Chaume. Photo personnelle

L’exploitation ostréicole du docteur Fauvel

De nombreuses cartes postales illustrent le passé d’Angoulins. Deux nous montrent une exploitation ostréicole sortant de l’ordinaire, car détenue par un mystérieux médecin, le docteur Fauvel.

Vers 1907-1909, l’exploitation du Dr Fauvel à la Chaume. Une éolienne permet d’alimenter en eau de mer les deux bassins. On reconnaît au fond à droite la villa Montretout de la Motte Grenet. Source internet

Ce « docteur médecin », comme j’ai pu le lire souvent, serait aujourd’hui un médecin généraliste. Jacques Ange Jean Fauvel est né en 1858 à Montgardon, un petit village au cœur de la Manche. En 1890, il épouse une Rouennaise, Augustine Marionnaud. Malheureusement, elle meurt l’année suivante. Cinq ans plus tard, il convole avec Pauline Homet, originaire d’Elbeuf. Au début du siècle dernier, il a son cabinet médical à Rouen, en Seine-Maritime.

Le couple et leur fille Jane s’installent à Angoulins au début de l’année 1907. En février, Jacques Fauvel achète une première exploitation à la Chaume. Elle est cédée par Pierre Lacroix et Marie Tardieu, son épouse. Tous deux sont originaires de Saint-André-de-Cubzac en Gironde, où Pierre était marin. Le couple avait acquis, en 1891, le terrain de Frédéric Barbedette, un important propriétaire foncier depuis la mort de sa mère Jeanne Poutier. Ils y construisent une maison, une écurie, deux hangars et deux réservoirs pour les huîtres.

Pierre, ostréiculteur, et Marie, pêcheuse, sont les grands-parents de Jean Lacroix. Bien connu des anciens Angoulinois, il tenait un garage sur l’actuel parking de la médiathèque (ancien bâtiment de la laiterie Eury). Après la guerre, il s’installe rue Gambetta. Ce garage deviendra la grande Coop. Le « père Lacroix » est réputé pour racheter et transformer les fameux cars rouges : il s’en sert pour transporter le lait de nos fermes dans les villages environnants, jusqu’à la laiterie de Thairé.

1950. La maison et les bassins construits par le couple Lacroix (vers 1892). En face, les réservoirs à huîtres évoqués plus haut ont dû servir au Dr Fauvel. Image IGN Remonter le Temps

Pour la petite histoire, en janvier 1908, le Dr Fauvel achète à Henri Mailhot le terrain qui est aujourd’hui le camping « À la Corniche » aux Chirats. Il le revendra dix mois plus tard à un mécanicien de Rochefort, Jean Clerfeuil.

Revenons à notre exploitation ostréicole. La famille Fauvel s’installe dans la maison de la Chaume. Ce scientifique a des ambitions et voit grand. Quelques mois plus tard, en juin, il fait de nouvelles emplettes : il devient propriétaire de cinquante parcelles, soit neuf hectares de marais salants situés à La Platère. Il a su convaincre quatre propriétaires différents, Augustin Datin, Félix Callot, André Guichard et Eugénie Rouché, de lui céder leurs marais après le déclin de la production de sel.

L’aventure ostréicole de Jacques Fauvel est courte. Il restera cinq années à Angoulins. Ce début du XXᵉ siècle marque le déclin de l’huître plate. La venue de notre bon docteur est toutefois une avancée majeure dans l’ostréiculture locale. Expérimentant de nouvelles techniques de production en convertissant les anciens marais salants en bassins d’affinage, il a ouvert la voie de l’ostréiculture moderne à Angoulins.

En 1912, Le Dr Fauvel est médecin à Orléans. En juin et août, il revend les deux sites à un couple d’ostréiculteurs et de courtiers venu du Château d’Oléron, Ferdinand Bouyer et Angèle Ricou. Fins connaisseurs de cette activité, ils vont faire de cet établissement une entreprise de vente en gros, la production étant conséquente. En juin 1920, Ferdinand, 57 ans, veuf depuis 1917, et ses enfants, revendent la maison et les bassins de la Chaume à Jean Lizet. L’exploitation de la Platère est cédée à Fernand Pigeonnier, futur maire d’Angoulins.

Vers 2010. La première maison de La Chaume existe toujours. Elle fait aujourd’hui partie d’un bel ensemble immobilier. Et un des deux bassins est devenue la piscine ! Image Google Maps 3D

La tempête du 21 novembre 1965

Une violente tempête a touché nos côtes le dimanche 21 novembre 1965. Une surcote de 1,50 mètre est observé. Voici deux photos prises devant la voie de chemin de fer, juste au-dessus du pont de la Chaume. On aperçoit à gauche le jardin de la maison en contre-haut de la cale. Au fond à droite, la maison Lacroix évoquée à l’instant. Les paquets de mer montrent bien qu’o’l’a buffé asteur !

La tempête Xynthia du 28 février 2010

Le secteur de la Chaume a particulièrement souffert de la tempête Xynthia, dans la nuit du samedi au dimanche. À croire que les tempêtes soufflent seulement les week-ends !
Quelques photos de cet évènement historique.

Dimanche 28 février. Les dégâts de Xynthia au belvédère de la Chaume. Photo personnelle
La forte houle a eu raison du mur de soutènement de cette maison. Photo personnelle

Fort heureusement, le bilan est uniquement matériel, contrairement à nos voisins vendéens qui ont énormément souffert de cette tragédie.

Le belvédère de la Chaume après reconstruction. Collection Sylvie Dezafit Facebook de la ville d’Angoulins

Pour le plaisir des yeux en guise de conclusion.

Le feu d’artifice du 14 juillet 2024 vu de la Chaume. Photo personnelle

Documentation
Jean-Pierre Target, histoire de la Chaume (2024)
Denis Briand, Angoulins, mémoire en images, éditions Alan Sutton, 2008
Jean-Noël Boynard d’Angoulins
Géoportail, IGN Remonter le Temps
Geneanet
Archives départementales de La Rochelle
Internet