La maison Larteau


J’avais évoqué cette belle maison de maître dans mon précédent article sur les colonies de vacances. Mon intérêt s’est ravivé depuis ma rencontre avec Danièle Lequeux Pianazza. Profitant d’une visite chez elle pour qu’elle me parle de l’ancien terrain de football de la JSA et de cette famille italienne de maçons arrivée à Angoulins en 1920, Danièle me raconte qu’elle est la petite fille de Victor Félix Dagnaud (1881-1966), contrôleur des PTT et maire d’Angoulins de 1945 à 1953, jadis propriétaire de cette maison. Par la même occasion, nous nous découvrons un lien de parenté — nous sommes cousins — par la branche ascendante des Dagnaud / Lhoumeau / Marmet.
En 2005, Henriette Dagnaud (1916-2011), la mère de Danièle, avait noté des souvenirs qu’elle avait de l’histoire de cette maison appelée dans la famille « Les Marronniers ». Titillé par ma perpétuelle curiosité, je me suis mis en quête de vérifier ce récit intrigant et de remonter le fil des anciens propriétaires…


Mes sincères remerciements à Danièle Pianazza pour son accueil et son écoute. Son attachement à vouloir partager avec moi l’histoire de cette maison m’ont motivé à écrire cet article, avec son assentiment.

2022. La maison Larteau. Photo personnelle
2022. La maison Larteau. Le parc est aujourd’hui un parking. Photo personnelle

La maison, située au 32 bis de la rue Gambetta, abrite aujourd’hui des logements sociaux et des locaux associatifs.

L’histoire écrite par Henriette Dagnaud

Retenons les éléments intéressants de cette histoire :

« Un arrière petit cousin de grand-père Dagnaud était un comte : Bastard du Péré. Il a son buste en face de la Grosse Horloge. Sur son socle, trois mots : mousse, capitaine et amiral. Vers 1800 et quelques, un descendant de cet amiral, Gaspard Bastard du Péré, marin également, connut une jeune fille des Îles Sous le Vent. Il fit bâtir pour elle le rez-de-chaussée de cette grande maison et planter dans le parc des arbres exotiques (paulownias, arbre de Judée, jasmin de Corse, rosiers du Bengale, lilas de Perse, etc.). Il la ramena à Angoulins. Elle y vécut deux ou trois ans et décéda loin de sa vraie patrie.
Des années plus tard, une autre jeune femme s’installa avec sa famille et il fit terminer la maison telle qu’elle était comme vous l’avez connue.
Après le décès des derniers occupants, la maison fut achetée par un notaire rochelais, maître Émile Chevalier, qui y installa ses enfants, sa femme et tous ses chapeaux 1900, sa calèche et ses chevaux. Le krach de 1928 le ruina et il mit la maison en vente.
Maman qui guettait ce moment, réunit ses économies et acheta Les Marronniers. Elle l’a rénovée, la meubla, la fit telle que vous l’avez tous connue. Au début de 1929 ou fin 1929, nous y habitions. »

Vers 2005. Détail de la note écrite par Henriette Dagnaud. Collection Danièle Lequeux Pianazza

Pour faciliter la lecture, j’ai inséré les éléments de l’histoire d’Henriette par ce repère « Henriette 📜 » puis mon commentaire.

1844-1847, l’achat des terrains

La maison Larteau doit son nom à Pierre Larteau, négociant en bois et matériaux de construction. Il a quatre magasins tout près du quartier Saint-Nicolas à La Rochelle. Il naît à Paris en 1801 de parents franciliens. Son père est toittier à Paris. Il a épousé le 8 janvier 1839 à la mairie d’Angoulins Louise Abraham (parfois écrit Bram ou Abram), native d’Aytré où elle a vu le jour en 1818.

Quatre acquisitions vont permettre de réunir un ensemble de biens sur lesquels la maison va être édifiée :

Acte duPropriétaires successifs
avant les Larteau
DésignationPrix convenu
13/03/1844Louis Arzac Seignette / sa fille Jeanne / Raymond DaudetUne grange en mauvais état et un jardin500 F (rente)
13/03/1845Couple Bonnier / Jean Delord / sa fille Marguerite DelordUn terrain1 000 F (rente)
20/04/1845Couple Bonnier / Jean Delord / sa veuve Madeleine DelordUn petit cellier5 000 F* exigibles en 1850
05/10/1847Henri LabrousseUne petite maisonÉchange avec une autre maison
* Ce prix comprend sept autres biens vendus avec ce cellier.

⏩ Les trois plus récentes acquisitions sont les parcelles sur lesquelles la maison va être construite.

Cadastre de 1811. Déduction du périmètre des acquisitions de Pierre Larteau entre 1844 et 1847 car les actes ne précisent pas les références cadastrales. Image AD17

Henriette 📜 : un arrière petit cousin de grand-père Dagnaud était un comte : Bastard du Péré. Il a son buste en face de la Grosse Horloge. Sur son socle, trois mots : mousse, capitaine et amiral.

Le grand-père d’Henriette Dagnaud est Victor Dagnaud, né à Angoulins en 1852 et décédé au même lieu en 1937. Il est agriculteur. Son frère Simon Dagneaud (1848-1928) et son épouse Madelaine Piqueraud ont une fille, Amanda (1879-1963). Celle-ci se marie en 1902 à Angoulins avec Joseph Gabriel Max Bastard, né en 1874 au château de Péré (ou Pairé), belle et grande demeure située à Prissé-la-Charrière dans les Deux-Sèvres. Max Bastard de Péré est donc bien un cousin par alliance du grand-père Dagnaud, mais il n’est pas comte.

Une confusion est évidente entre « du Péré » et « de Péré » : Max Bastard de Péré n’a aucun lien avec l’amiral Victor Guy Duperré (La Rochelle 1775 – Paris 1846) dont la statue se dresse fièrement au bout du Cours des Dames à La Rochelle. Un siècle les sépare. Cependant, les Bastard (de Péré, de Crisnay) font partie de ces grandes familles de la bourgeoisie, voire de la noblesse dont certains ont fait l’histoire de France. Max et Amanda sont décédés à Angoulins, lui en 1958 et elle en 1963.

2019, fête des Jardins au château de Pairé (Péré), Prissé-La-Charrière. Photo personnelle

Henriette 📜 : vers 1800 et quelques, un descendant de cet amiral, Gaspard Bastard du Péré, marin également, connut une jeune fille des Îles Sous le Vent. Il fit bâtir pour elle le rez-de-chaussée de cette grande maison et planter dans le parc des arbres exotiques (paulownias, arbre de Judée, jasmin de Corse, rosiers du Bengale, lilas de Perse, etc.). Il la ramena à Angoulins. Elle y vécut deux ou trois ans et décéda loin de sa vraie patrie.

Je n’ai pas trouvé de Gaspard Bastard de Péré, notamment dans Geneanet. Il y avait des capitaines de bateau dans cette famille, mais sans lien avec Angoulins. Des quatre acquisitions de Jacques Larteau, une grange en mauvais état appartenait à Louis Arzac Seignette (1775-1825). Cette grande famille de la bourgeoisie rochelaise n’a aucun lien avec les Bastard de Péré. Mais, elle a compté dans la vie d’Angoulins. Le château, actuelle mairie, était leur propriété. Elle possédait aussi un nombre considérable de biens sur la commune, transmis par succession aux familles Monlun, Poutier et Barbedette.

Le père de Louis est Elie Louis Seignette (1742-1805). Il a épousé en 1765 au temple protestant de Saint-Savinien (ma seconde patrie !) puis, en 1788, à l’église d’Angoulins, Claire Doublet (1744-1799). Celle-ci est originaire de Saint-Marc, petite ville de Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti. Claire est peut-être notre jeune fille des « îles sous le vent ». Son père Pierre était capitaine de navire. Il est fort possible qu’Elie ait construit à Angoulins une maison pour Claire. Comme on l’a vu plus haut, le jardin de la première acquisition est peut-être le parc arboré évoqué par Henriette. Claire est décédée à Angoulins le 25 mars 1799, bien avant le chantier des Larteau. Beaucoup de suppositions, mais je n’ai pas trouvé mieux !

1848, la construction de la maison

Un acte notarié de juillet 1850 montre que trois des quatre acquisitions du couple Larteau ont servi aux fondations de la maison. Le bien y est décrit ainsi : une grande maison consistant au rez-de-chaussée en une salle, salon, cuisine, salle de bains, buanderie, avec ponnes en pierre montées et fourneaux économiques, hangar, laiterie, remise, écurie, chais et serre. Six chambres, un cabinet et grande salle au premier étage, grande salle au second étage, terrasse au-dessus. Jardin ensuite.
La description du bien est sans équivoque : la maison actuelle est bien celle construite en 1848, excepté la terrasse remplacée par un toit en tuiles après 1948.

Henriette 📜 : des années plus tard, une autre jeune femme s’installa avec sa famille et il fit terminer la maison telle qu’elle était comme vous l’avez connue.

Il s’agit de Louise Abraham Larteau. En 1848, elle est encore jeune, 30 ans, mais déjà maman de six jeunes enfants : les jumelles Hortense et Alexandrine (1838), Louis (1841), Pierre (1843-1899) Adèle (1845-1851) et François (1847). Une régularité notable ! La dernière, Marie, verra le jour en 1855 (mais décède en octobre 1859 un mois après son père). Les jumelles sont nées à Angoulins chez les parents de Louise, les suivants à La Rochelle, au domicile familial du numéro 3 de la rue Saint-Nicolas.

1850, la vente à Paul Monlun

L’acte est signé le 17 juillet 1850 chez Maître Morin, notaire rochelais. Âgé de 49 ans, Pierre Larteau est représenté par un autre Pierre, Pierre Laurent, banquier. Les 6 600 francs des quatre premières acquisitions n’ont toujours pas été réglés. La présente vente est consentie pour la somme de 8 000 francs, une occasion de clôturer le passif.

Paul Monlun est âgé de 34 ans. Issu de la bourgeoisie rochelaise, il est négociant, banquier et membre de la Chambre de commerce de La Rochelle. À son décès en 1872, il est propriétaire du château d’Angoulins. Sa fille Elisa en héritera et cédera cette magnifique maison à la commune en 1893.

Pierre Larteau décède le 30 septembre 1859 en son domicile de La Rochelle. Mourant, il avait pris ses dispositions quelques jours auparavant auprès du Tribunal de Commerce pour vendre aux enchères publiques le stock de ses quatre magasins qu’il possédait sur les quais. Son épouse Louise décède en 1893 à La Rochelle.

1858, la vente à Henri Bort Baron

Cette nouvelle cession est signée le 25 mai 1858 chez Maître Fournier, notaire de La Rochelle. Paul Monlun reçoit 2000 francs comptants, le solde, soit 6 500 francs, est payable en six années au taux de 5% l’an.

Henry (Henri) Chaumont dit Baron est le fils d’un périgourdin, Dominique Bort Chaumont dit Baron. Il est né à Rochefort en 1817 hors mariage (la situation sera régularisée en 1819, ouf !). Il est notaire à Melle dans les Deux-Sèvres. Son épouse Elisabeth Nau (1827-1885) est originaire de La Rochelle.

1860, la vente à la fratrie Poutier

Henri conserve la maison deux années. Il la cède aux trois enfants de Frédéric Poutier (1798-1842) et de Jeanne Seignette (1809-1860) : Gilles Arzac (1829-1864), docteur en droit, avocat à la Cour de Paris, demeurant à Paris ; Jeanne (1836-1885) épouse d’Hippolyte Barbedette, juge au Tribunal Civil de La Rochelle. Ils habitent La Rochelle ; et la benjamine (21 ans) Marguerite (1839-1871) épouse de Louis Bethmont, avocat à la Cour de Paris, demeurant ensemble à Ruffec dans l’Indre.

Cette fratrie est cousine avec l’avant-dernier propriétaire, Paul Monlun. Particularité rare, leur mère, Jeanne Seignette, veuve depuis 7 ans, est mariée depuis 1849 avec… Paul Monlun.
À noter que Jeanne fut aussi propriétaire de la grange en mauvais état acheté par Pierre Larteau à Raymond Daudet. Avec cet achat, la maison revient dans la famille !

Autre rareté, le vendeur déclare ne pas comprendre dans la vente : tous les légumes et fruits qui sont dans le jardin excepté les fruits d’hiver en espalier qui resteront aux arbres. Tous les matériaux, pierres, briques et bois provenant de démolition et reconstruction. Tous les fumiers et terreaux ! Et, enfin, dans la maison, toutes les glaces, même celle des meubles, les vendeurs se réservant le droit de les enlever. Curieuses dispositions.

1861, le partage entre la fratrie

Le 5 décembre 1861, chez Maître Fournier de La Rochelle, les deux frangines et le frangin s’entendent pour partager la maison. Elle revient à l’aîné Gilles et à la cadette Jeanne.

1864, l’adjudication suite au décès de Gilles

Gilles décède le 14 mars 1864 à Paris. Âgé de 34 ans, il n’est pas marié et est sans descendance. La maison est mise aux enchères par le Tribunal de La Rochelle le 18 mai et Jeanne remporte la mise. Elle est maintenant l’unique propriétaire de la maison.

Les adjudications sont courantes, car elles permettent de rendre liquide la succession pour mieux répartir les parts de chacun. À la charge de l’un des cohéritiers d’enchérir sur le bien s’il souhaite le conserver.

1885, la succession de Jeanne

Jeanne meurt le 30 juin 1885 à Paris. Du partage de sa succession, son fils Frédéric Barbedette hérite de la maison.

Né en 1858 à La Rochelle, Frédéric Barbedette est agriculteur en Algérie depuis 1886. Comme son père Hippolyte (magistrat, député et sénateur de la Charente-Inférieure), il fera à Djilleli en Kabylie (aujourd’hui Jijel) une carrière politique, tour à tour maire, conseiller général, vice-président du conseil général et délégué au Conseil supérieur de Gouvernement de 1898 à 1920. Il décède en 1927, en Corrèze.

Vous avez bien noté que tous les propriétaires cités ci-dessus sont issus de la bourgeoisie rochelaise ou parisienne. Cette maison fut sans conteste une résidence de villégiature.

1893, la vente à Émile Chevalier

Loin d’Angoulins, il est difficile pour Frédéric de s’occuper de cette grande maison. Le 31 janvier, l’acte de vente est signé chez Maître Michel, notaire à Angoulins. Frédéric est représenté par Maître Cumin, ancien notaire du village et l’acheteur est Maître Émile Chevalier, notaire successeur de Maître Michel. Une affaire de notaires en somme.

En devenant propriétaire de cette grande maison, Émile peut installer son étude et sa femme, en attendant l’agrandissement de la famille. Né en 1856 à La Rochelle, il est marié depuis 1889 à Marie-Eva Sainton (1860-1923). De cette union, trois filles naissent dans la maison Larteau : Thérèse (1893-1957), Madeleine (1895-1976) et Geneviève (1898-1973). Toutes trois feront de beaux mariages.

Henriette 📜 : après le décès des derniers occupants, la maison fut achetée par un notaire rochelais, maître Émile Chevalier, qui y installa ses enfants, sa femme et tous ses chapeaux 1900, sa calèche et ses chevaux.

Comme on vient de le lire, le dernier occupant n’est pas encore décédé, il est bien portant en Algérie. Le couple emménage sans enfant, le premier est en route depuis deux mois. Les chapeaux et la calèche sont véridiques, car être notaire à cette époque était l’assurance d’appartenir aux notables de la société.

Le frère d’Émile, Ernest (1862-1917), est peintre officiel de la marine. Angoulins sera source d’inspiration.

Les descendants Chevalier possèdent quelques peintures ayant pour cadre la maison et son parc. Marie-Eva semble en être l’autrice. L’incertitude demeure, mais elle avait pour habitude de ne pas signer ses œuvres, contrairement à Ernest. Ce détail permet de lui en attribuer la création, car la famille détient également un autoportrait d’elle non signé.

Vers 1910, le port de La Rochelle. Peinture d’Ernest Chevalier. Source internet
La maison Larteau, le portail d’entrée. Collection privée
La maison Larteau, façade à gauche du portail. Collection privée

Henriette 📜 : le krach boursier de 1928 le ruina et il mit la maison en vente.

Un krach est arrivé plus tard en octobre 1929, mais pas en 1928. Comme on va le voir, la maison sera revendue après le décès du notaire.

1923 et 1928, les décès de Marie-Eva et d’Émile Chevalier

Le 24 avril 1923, Marie-Eva meurt dans sa maison d’Angoulins. Cinq années plus tard, son époux Émile décède le 6 juillet 1928 chez sa fille Madeleine, épouse du médecin Jean Bobrie (1884-1944). Ils habitent au 14 rue Saint-Louis à La Rochelle à côté de l’hôpital.
Maître Chevalier avait 72 ans. Tous ses biens d’Angoulins et de La Rochelle, sont transmis à ses trois filles.

Remarquer le nom de la seconde villa.
Attention, le téléphone 53 ne répond plus ! Source AD17

Le 13 juillet 1929, la vente est annoncée dans le Courrier de La Rochelle. Le prix est modéré et la vente ne va pas traîner comme nous allons le voir après. Une petite coquille s’est glissée dans le texte : adjuger est plus approprié qu’adjuder. Ce verbe peu connu semble quand même exister, il signifie « faire le petit chef » (dérivé, adjudant).

1929, la vente à Victor Dagnaud

Henriette 📜 : Maman qui guettait ce moment, réunit ses économies et acheta Les Marronniers. Elle l’a rénovée, la meubla, la fit telle que vous l’avez tous connue. Au début de 1929 ou fin 1929, nous y habitions.

Deux mois après la diffusion de l’annonce, le 13 septembre 1929, les trois sœurs paraphent la cession chez Maître Billault, successeur de Maître Chevalier, en son étude de Châtelaillon. Depuis sa disparition, il n’y aura plus d’office notarial en place à Angoulins.

Cet achat revêt un caractère particulier pour Victor Dagnaud (1881-1966) et son épouse Henriette Renaudeau (1886-1973), les parents d’Henriette. De condition somme toute modeste, ils en ont rêvé et ont économisé sous après sous pour en devenir propriétaires. Trois années plus tôt, Henriette avait touché sa part de l’héritage laissé par son père Jean. Il a fallu compléter et réunir la somme de 52 000 francs, frais de notaire inclus. Ils y sont arrivés et ont déposé la somme en billets de banque sur le bureau de Maître Billault. En 1929, ce montant représente six fois le salaire net annuel d’un ouvrier, soit un peu plus de 100 000 € pour un smicard de 2023. Belle époque…
Les économies réalisées couronnent un investissement judicieux dans l’une des plus belles maisons du bourg.

Un an après la transaction, Madeleine Chevalier et son époux Jean Bobrie achètent la Closerie des Genêts, une villa construite en 1914 à côté de la villa Montretout (fortin de la Motte Grenet). Cette maison deviendra l’hôtel restaurant bar de Louis Authé au milieu des années 1950 puis la colonie de vacances des Genêts.

Jean Bobrie est médecin accoucheur à l’hôpital de La Rochelle. Son gendre Jacques Gandouet ouvrira, en 1950, une maternité privée dans une aile de la maison familiale située au 14 rue Saint-Louis. C’est ici que je suis né.

Vers 1935, la Closerie des Genêts, une très belle villa d’agrément au bord de l’océan. Collection Guillaume Bobrie

ℹ️ Lire aussi : la villa Montretout et le restaurant de Louis Authé

En juin 1937, Henriette Dagnaud met au monde Danièle dans cette maison. Elle y venait souvent en week-end et pour les grandes vacances jusqu’en 1948. Elle en a gardé d’excellents souvenirs. D’où son attachement à en transmettre l’histoire.

1948, la vente à la ville de Châtellerault

Âgés respectivement de 62 et 67 ans, Henriette et Victor se sentent bien seuls dans cette grande maison. Les frais d’entretien sont sûrement importants. L’heure de la revente a sonné. Une annonce est publiée et suscite l’intérêt de la mairie de Châtellerault dans la Vienne.

En effet, le conseil municipal est à la recherche d’un immeuble en bord de mer pour y ouvrir une colonie de vacances. Les élus souhaitent « aérer » les jeunes Châtelleraudais après les épreuves de la guerre. Le bon air d’Angoulins va servir cette ambition.

La délibération du conseil municipal du 4 juin 1948

J’ai gardé l’intégralité du texte informant les conseillers municipaux. Le maire présente l’immeuble convoité et expose les atouts d’Angoulins. Cette description est digne d’intérêt.

Vendredi 28 mai, une petite commission d’études s’est rendue à Angoulins pour étudier les possibilités d’organiser une colonie de vacances municipales dans cette localité, une seconde commission plus vaste est allée faire une étude le mercredi deux juin.
L’immeuble proposé est composé d’un corps de bâtiments en bon état comprenant : une maison bourgeoise de 19 pièces ; un grand garage pouvant servir de garage pour trois voitures ; un beau parc bien ombragé de 1800 à 2000 m².
L’immeuble comporte 19 pièces entretenues pour la plupart. Tel qu’il est organisé, une vaste cuisine et son arrière-cuisine permettent d’installer le matériel nécessaire à la préparation des repas. Les chambres peuvent contenir 40 à 50 lits et sont dans l’ensemble en état convenable. Cependant, le plafond de l’une d’elles est à refaire, mais la réfection peut en être différée d’un an ou deux.
L’immeuble est couvert de tuiles courbes et la partie centrale est surplombée d’une belle terrasse qui offre une vue splendide sur la rade de La Pallice, les îles de Ré, d’Aix et Oléron, l’embouchure de la Charente. Les toitures semblent convenables. Nous sommes arrivés à Angoulins après une nuit de pluie violente et personne ne nous attendait. Nous n’avons trouvé nulle trace de gouttières. Or, si le plafond était défectueux, nous aurions décelé des traces et des marques. Le parc très ombragé permettra aux enfants de s’ébattre pendant leur séjour ; les murs de clôture, en parfait état, offrent le maximum de garantie. Enfin, la mer est à quatre cents mètres (à vol d’oiseau) de l’immeuble.
Les enfants pourront se rendre à la pointe du Chay, soit pour jouer à travers les rochers et recueillir des coquillages, soit un peu plus loin pour s’ébattre sur une plage qui offre toutes garanties de sécurité, soit dans un parc municipal assez vaste.
Angoulins est un bourg de 1300 à 1400 habitants, situé entre La Rochelle et Châtelaillon, fréquenté l’été par des baigneurs de situation plutôt modeste. Le bourg est desservi par une station de la voie ferrée Nantes Bordeaux et par un service de cars La Rochelle Rochefort.
Deux médecins à Châtelaillon (3 km) et un à La Jarne (3 km également) pourront se rendre rapidement, si besoin est, auprès des enfants. Quant à l’approvisionnement, il est des plus faciles et les prix des denrées, dans l’ensemble, sont voisins de ceux de Châtellerault sauf ceux du poisson qui sont nettement moins élevés. Les gens du pays nous assurent que l’on peut se procurer le lait en quantité largement suffisante.
Le prix de 1 600 000 francs nous a semblé digne d’être étudié et ne nous a pas paru abusif, surtout si l’on le compare aux prix pratiqués à Châtellerault et nous estimons que la ville ferait une bonne opération en se rendent propriétaire de cet immeuble. C’est pourquoi, sans engager le Conseil Municipal de Châtellerault, mais afin de lui réserver les possibilités d’une acquisition que nous estimons souhaitable, nous avons rapporté une promesse de vente signée des époux Dagnaud, propriétaires actuels de la maison d’Angoulins ; cette promesse de vente étant fatalement pour un temps très limité, nous vous proposons de voter l’acquisition de l’immeuble d’Angoulins et nous demandons que l’Administration ne mette aucun retard dans l’établissement des formalités, afin de permettre à nos petits de bénéficier, dès cette année, des bienfaits de l’acquisition de cette maison.
Après discussion à laquelle prennent part Messieurs Penin, Petit, Bonnet, Fontier et Perceveau, le Conseil décide le principe de l’acquisition de cet immeuble dans la limite du prix proposé par le vendeur ; donne mandat à Monsieur le Maire pour continuer ses pourparlers et traiter au mieux des intérêts de la Ville ; demande à Monsieur le Préfet de vouloir bien déclarer l’utilité publique de cette acquisition en vue de l’application de l’article 22 de la loi de finances du 30 décembre 1928 ; dit que le montant de cette acquisition sera prélevé sur le chapitre trente-quatrième, article un du budget additionnel de mil neuf cent quarante-huit.

1947. La maison va bientôt être vendue. Image Remonter le Temps

Vous avez noté qu’Angoulins n’avait pas de médecin en 1948. Un comble ! Pas de problème pour s’approvisionner en lait, le village avait un grand nombre de fermes, dont deux très proches (Normand et Cardinaud).

Le prix payé est celui du vendeur

L’acte est signé le 4 août 1948 chez Maître Burgaud, notaire à Châtelaillon, successeur de Maître Billault. La vente est conclue au prix du vendeur, soit 1 600 000 francs nets de frais. Dix années d’un salaire net ouvrier. Les frais payés par les vendeurs sont de 68 000 francs, soit 4%, deux fois moins qu’aujourd’hui. Belle époque… (bis)

600 000 francs seront investis en travaux. Une longue période commence, l’âge d’or des colonies de vacances à Angoulins. Pendant trente années, des générations de jeunes Châtelleraudais viendront ici profiter des bienfaits de l’océan.

Cette carte postale des années 1950 illustre la colonie de vacances de la ville de Châtellerault. Source internet

ℹ️ Lire aussi : les colonies de vacances

1979, le rachat par la collectivité

Le 1ᵉʳ janvier, le SIVOM de La Rochelle, aujourd’hui la Communauté d’Agglomération, devient propriétaire de la maison. La municipalité de Châtellerault a fermé les portes de la colonie fin août 1978, car de lourds travaux de réhabilitation sont nécessaires, mais trop chers pour le budget communal.

L’immeuble est par la suite rétrocédé à la commune d’Angoulins. Un bail emphytéotique (bail immobilier long) est signé avec un office HLM, aujourd’hui la Semis. Toute la gestion et les grosses dépenses sont à sa charge, mais aucun loyer n’est versé à la collectivité.

La gendarmerie de Châtelaillon disposait d’une pièce au rez-de-chaussée pendant la période estivale. Les gendarmes étaient logés au 9 de l’avenue Edmond Grasset. Quelques associations y ont organisé leurs activités dans les années 1990.

Pour la commune, être propriétaire garantit la pérennité du but recherché, le logement social. Quel plaisir d’habiter une aussi belle maison chargée d’histoire !


Documentation
Archives Départementales de La Rochelle
Un grand merci aux descendants d’Émile et Marie-Eva Chevalier pour le partage des tableaux.
Photos personnelles