Cette amicale est née de la volonté de quelques chasseurs de se réunir en association. Leur nombre augmentant, elle encadre, légalise et sécurise une pratique ancienne.
L’écriture de cet article repose sur l’existence d’un cahier d’écolier. Il répertorie, à partir de 1931, les adhérents et la comptabilité de la société. Ce document a été retrouvé par mon ami Xavier Loquet dans les archives de son père, Jean-Claude. Il m’en a confié le soin, qu’il en soit remercié ici.
Création et objets de l’amicale
L’existence officielle de l’amicale des chasseurs ou société de chasse, comme il est écrit sur le cahier, commence en 1924. L’association a été déclarée à la Préfecture de la Charente-Inférieure le 27 août 1924 sous le numéro 406.
L’objet ayant motivé la création de l’amicale est d’utilité publique : destruction des animaux nuisibles, gestion du gibier pour pouvoir remplir sa gibecière, protection des cultures face aux menaces d’animaux qui trouvent là une nourriture abondante. Ces buts sont nobles, mais la réalité est parfois différente : l’amicale des chasseurs est surtout, à l’échelle du village d’Angoulins, un groupe de défense, de pression et de protection du territoire contre les chasseurs venus de l’extérieur. La création de la société répond parfaitement à ces ambitions.
La vie de l’amicale jusqu’en 1939
La saison de chasse commence en août. En ce mois de 1931, la société compte 72 membres. On y retrouve la plupart des noms des grandes familles d’Angoulins. J’exagère à peine en affirmant que chaque famille dispose de son tireur d’élite ! Deux principes concourent à ces effectifs pléthoriques : le plaisir de la chasse et la nécessité de disposer dans un plat au milieu de la table familiale d’un mets de premier choix débarrassé de ses quelques plombs…
En ce début de saison, la caisse dispose de 750 francs. La cotisation est de 5 francs, soit moins de 4 euros d’aujourd’hui. Abordable heureusement, car les fusils et les cartouches sont un coût à ne pas négliger.
Des taxes sont dues à l’administration, notamment pour la sainte surveillance du garde-chasse, agent de police de l’environnement. L’achat du gibier est la plus grande des dépenses. Quelques perdrix, mais surtout beaucoup de lapins. Des lapines sont parfois achetées pour étoffer naturellement la population. En 1937, par exemple, 1 200 francs sont investis en lapin sur un total de dépenses de 1400 francs.
Les effectifs de sociétaires connaissent une baisse régulière. De 1935 à 1937, seuls 45 chasseurs adhèrent à l’amicale. Peut-être est-ce dû à l’appel sous les drapeaux de plus en plus nombreux en ces temps de paix fragile ? Pour maintenir une saine comptabilité, la cotisation passe à 10 francs en 1936. Un sursaut d’inscriptions intervient en 1937, mais la guerre va interrompre l’activité de l’association. Les fusils finissent dans une cachette en attendant des jours meilleurs. Sous la présidence de Louis Guichard, la caisse affiche un bilan positif de 604 francs.
À partir de la saison 1937, les cartes de chasse des « étrangers » (sic) sont répertoriées à part. La cotisation est la même, mais deviendra plus chère les années suivantes. Par étranger, il faut comprendre ceux qui viennent des villages autour d’Angoulins ! Comparés aux locaux, ils ont toujours été peu nombreux.
Saison 1931-1932 | 72 | Saison 1935-1936 | 45 |
Saison 1932-1933 | 70 | Saison 1936-1937 | 44 |
Saison 1933-1934 | 66 | Saison 1937-1938 | 80 |
Saison 1934-1935 | 62 | Saison 1938-1939 | 65 |
1947, les gâchettes reprennent du service
Le cahier apporte bien la preuve que la société n’a pas fonctionné de 1939 à 1947, soit huit années. Le solde comptable de reprise est bien de 604 francs. Le franc s’est nettement dévalorisé, cette somme représente un dixième du pouvoir d’achat qu’elle avait en 1939. La cotisation est donc fixée à 50 francs, soit 3 € de 2022, pour les Angoulinois, 100 francs pour les étrangers. Les sociétaires sont désormais distingués des propriétaires. Ces derniers ne paient pas de cotisation.
Une assemblée générale a lieu le 27 juin. Provoquée par le président démissionnaire Guichard, elle a été annoncée par le garde-champêtre ! Les nouveaux membres du bureau élus à main levée sont : président Jean Bachelier, vice-présidents Pierre Villemonteix et Edouard Pigeonnier, trésorier Louis Laplaine et secrétaire Georges Nadeau.
Le garde-champêtre est associé à la vente des cartes. Il est chargé d’aller au domicile des sociétaires et perçoit à cette occasion une remise de 10%. Un complément de revenu bienvenu !
La saison 1954/1955 marque l’apogée de la société. 88 cartes de chasse sont vendues au prix de 150 francs, la plupart sont sociétaires. Les fonctions de secrétaire et trésorier fusionnent : elles sont confiées à un nouveau membre, Marcel Vieux-Loup. Drôle de nom pour un chasseur !
Saison 1947-1948 | 36 | Saison 1951-1952 | 83 |
Saison 1948-1949 | 43 | Saison 1952-1953 | 54 |
Saison 1949-1950 | 48 | Saison 1953-1954 | 79 |
Saison 1950-1951 | 51 | Saison 1954-1955 | 88 |
Les dernières assemblées générales de 1953 et 1954
Sur convocation du président Bachelier, une assemblée générale est tenue le 29 août 1953 au tout début de la nouvelle saison. 21 chasseurs participent au vote du nouveau bureau : pas de changement côté président, Pierre Villemonteix reste seul vice-président et Marcel Vieux-Loup assure toujours sa double casquette de secrétaire trésorier. Statu-quo (agité !) sur le prix des cartes fixé à 200 francs depuis la dernière réunion. Toutefois, le prix des cartes des étrangers est fixé à 1 000 francs pour s’aligner sur les autres sociétés de la région, en accord avec la fédération. Des couples de perdreaux seront achetés dans la mesure des finances, mais pas de lapins à cause d’une épidémie passagère. Ni lièvre aussi, car ils sont trop chers !
L’année 1954 semble fatidique à la société de chasse. Le président convoque une assemblée générale le 14 août. L’achat des lapins est toujours suspendu à la fin de l’épidémie en cours. Le bureau est reconduit. Petite nouveauté, une carte « invité » est créée pour venir chasser une journée. Le prix des cartes est fixé à 250 francs.
Le 27 novembre, une réunion extraordinaire se tient en présence de 15 chasseurs. Marcel Vieux-Loup est décédé, l’amicale a offert une gerbe pour ses obsèques.
Le président Bachelier expose les raisons de cette convocation. Depuis sept ans, la société n’a jamais pu obtenir l’ensemble des signatures des propriétaires pour pratiquer la chasse en toute légalité. Certaines terres ont été retirées du périmètre de chasse et quelques écarts, comme l’Ileau, La Cabane Brûlée et La Cabane Pourrie sont mises en chasse gardée (réservée au propriétaire uniquement). Les marais salants ont failli subir le même sort, mais l’interdiction a été levée grâce à l’intervention du président.
Des bruits courent sur la formation d’une nouvelle société de chasse, un syndicat inter-propriétaires. L’anonymat des instigateurs est respecté par le bureau.
Toutes ces informations ne sont pas une bonne nouvelle pour l’amicale des chasseurs. Le bureau actuel est démissionnaire, une nouvelle réunion est programmée. Le 11 décembre suivant, aucun candidat ne souhaite reprendre les rênes de l’amicale. Le 28 décembre, le président Bachelier écrit au Préfet pour lui présenter la situation, acter la dissolution et demande à qui les documents et les fonds doivent être remis en attendant la reprise – éventuelle – de la société.
33 ans après…
Le 18 mai 1987, la Préfecture écrit au président Bachelier (né en 1921, il décède en 2010). Le Préfet demande la composition du bureau dont la dernière correspondance remonte… à 1954 ! L’efficacité de l’administration reste légendaire !
Pour seule réponse, il transmet de nouveau son courrier du 28 décembre 1954 et complète un formulaire déclarant la dissolution à partir du 1ᵉʳ juin 1987 de l’amicale des chasseurs d’Angoulins. Déclaration reçue le 9 juin et validée dans la foulée.
1969, création d’une ACCA
Quinze années après la cessation d’activité de la société de chasse, le Journal Officiel du 30 mai 1969 publie la déclaration d’une nouvelle association communale de chasse agréée (ACCA), créée le 6 mai précédent sous le numéro 125 et agréée par arrêté préfectoral du 3 octobre suivant.
Les ACCA ont été créées par la loi n° 64-696 du 10 juillet 1964 relative à l’organisation des associations communales et intercommunales de chasse agréées, dite « loi Verdeille », du nom de son auteur Fernand Verdeille.
Wikipédia
Aujourd’hui, l’ACCA d’Angoulins est toujours en activité.
Documentation
Cahier de la société de chasse 1931-1954, collection Xavier Loquet
Site internet de la mairie d’Angoulins
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